L’Union européenne est-elle démocratique ?

« Bruxelles a décidé ci », « Bruxelles nous impose ça », « la France a perdu sa souveraineté »… On entend parfois de genre de discours. Chacun a le droit d’avoir ses propres opinions politiques. Néanmoins, lorsqu’on s’exprime sur un sujet, il est important de savoir de quoi on parle.

À travers cet article, je vais tenter de répondre, sans parti pris, à la question suivante : « L’Union européenne est-elle démocratique ? » 🗳

Nous verrons d’abord comment fonctionnent les institutions européennes. Tout particulièrement, nous expliquerons qui élit les responsables politiques qui prennent des décisions au niveau européen. Lorsque les règlement et directives sont adoptés à Bruxelles ou à Strasbourg, cela modifie la loi dans les États membres ; il est donc important de savoir si cela nous est imposé d’en haut ou si ceux qui votent ces décisions sont élus par nos voix.

Dans un deuxième temps, nous aborderons les limites de la démocratie européenne et éluciderons certains concepts (notamment liés à la souveraineté) qui permettent de mieux comprendre les règles du jeu. 🧩 Enfin, nous ouvrirons sur quelques perspectives intéressantes pour que les citoyens puissent prendre part à la politique commune.

Quelles sont les sept institutions de l’UE, quel est leur pouvoir, comment sont choisis leurs membres et comment fonctionnent-elles ?

  1. Le Parlement européen (PE)

Cette institution est sans conteste la plus démocratique des instances politique de l’UE. En effet, les eurodéputés sont élus au suffrage universel direct, lors des élections européennes. Ils sont aussi élus à la proportionnelle, ce qui est sans doute plus démocratique que nos élections législatives telles que prévues par la Constitution de la Ve République. 🐓 Avec le Conseil de l’Union européenne, ils disposent du pouvoir législatif de l’UE.

Les membres du Parlement européen sont actuellement répartis en 8 groupes, à savoir :

  • Le Groupe de la gauche au Parlement européen (GUE/NGL) rassemble les partis les plus à gauche de l’échiquier politique, comme LFI (liste menée par Manon Aubry), le parti grec Syriza (au pouvoir lors de la crise de la dette dans la zone euro), le Mouvement 5 étoiles (gauche radicale italienne) et le parti espagnol Podemos (controversé notamment du fait de la « loi trans », qui lui a coûté de nombreux sièges aux dernières élections générales). Certains de ces partis sont considérés comme d’extrême gauche par une partie des politologues.
  • Le Groupe des Verts/Alliance libre européenne rassemble les écologistes de gauche, dont l’ancien parti EELV (liste menée par Marie Toussaint) et son alter ego allemand Bündnis 90/Die Grünen.
  • Le Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen (ou « groupe S&P ») rassemble les partis socialistes et du centre-gauche, comme le PS, le PSOE (qui gouverne actuellement l’Espagne) ou encore le SPD (socio-démocrates allemands, parti de l’ancien chancelier Olaf Scholz).
  • Le Groupe Renew Europe rassemble des partis centristes, démocrates et libéraux, dont LREM ou le MoDem, qui avaient constitué la liste Renaissance lors des dernières élections européennes (menée par Valérie Hayer, actuellement présidente de cette formation politique au sein du Parlement).
  • Le Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) est le plus nombreux au PE. Il rassemble des partis de droite traditionnelle, comme Les Républicains (liste menée par François-Xavier Bellamy dans la circonscription française), le Parti populaire (PP) espagnol, la CDU allemande (parti d’Angela Merkel et du chancelier actuel, Friedrich Merz), ou encore le Parti nationaliste maltais (de tendance conservatrice), d’où est issue la présidente actuelle du Parlement européen, Roberta Metsola.
  • Le Groupe des Conservateurs et Réformistes européens inclut Fratelli d’Italia (le parti de la présidente italienne Giorgia Meloni), Prawo i Sprawiedliwość (qui a gouverné la Pologne de 2015 à 2023), ou encore les 5 dissidents de la liste Reconquête ! élus en 2024, dont Marion Maréchal.
  • Le Groupe Patriotes pour l’Europe est présidé par Jordan Bardella. Il rassemble certains partis eurosceptiques considérés comme d’extrême droite, comme le Rassemblement national, le Fidesz (le parti du président hongrois Viktor Orbán), Vox (un parti qui prend de plus en plus de poids dans la moitié sud de l’Espagne, notamment à partir de préoccupations liées à l’immigration et au catalanisme), le FPÖ autrichien ou encore le PVV néerlandais.
  • Tout à droite de l’échiquier politique, le Groupe « L’Europe des nations souveraines » (ENS) inclut le parti allemand AfD (qui rassemble 20 % des suffrages outre-Rhin, est financé par le Kremlin et est accusé de reprendre la rhétorique des nazis), le parti slovaque Republika, ainsi que Sarah Knafo, citoyenne française d’origine marocaine et de confession juive, seule députée Reconquête ! restée fidèle à son mari, Éric Zemmour.

Il faudrait ajouter à ces groupes les députés non-inscrits, qui peuvent représenter des citoyens aux préoccupations minoritaires. Parmi ces 30 législateurs provenant de 11 pays, siègent des représentants des Partis communistes grec et tchèque, du mouvement espagnol Se Acabó La Fiesta (qui entend lutter contre la corruption, la criminalité et la pédophilie au sein du système politique en redonnant le pouvoir aux citoyens), de la Confédération de la Couronne polonaise (parti monarchiste et nationaliste), la députée française Malika Sorel (élue au sein de la liste menée par Jordan Bardella, mais ayant pris ses distances par rapport à certaines orientations du Groupe Patriotes pour l’Europe) ou encore le youtubeur chypriote Fidías Panayiótou, qui a fait campagne au nom de la jeunesse pour défier le système politique actuel, qui veut lever l’interdit des discours de haine en ligne au nom de la liberté d’expression et défend des positions pro-russes. Parmi ces non-alignés, pourraient aussi siéger des défenseurs de causes hétérodoxes, s’ils avaient été élus (en obtenant au moins 5 % des voix), comme des royalistes français, des séparatistes bretons, basques, corses ou catalans, des animalistes, des écologistes de droite ou des promoteurs de l’espéranto comme langue officielle de l’UE. 🌍

En somme, les opinions de tous les citoyens de l’UE sont globalement représentées au sein du PE (ou pourraient l’être), puisque nous avons tous été appelés à voter pour la liste de notre choix, à la proportionnelle, en juin 2024.

Les eurodéputés votent les règlements et les directives.

Les règlements s’appliquent directement aux populations des États membres. Par exemple, le règlement général sur la protection des données (RGPD) s’applique tel quel sur l’ensemble du territoire européen, sans que les parlements nationaux élus démocratiquement ne puissent s’y opposer. ⛔

Quant aux directives, elles fixent des objectifs communs à tous les pays de l’UE, mais laissent une marge de manœuvre aux responsables politiques démocratiquement élus dans les États membres sur la manière dont ces objectifs peuvent être atteints. Par exemple, « la directive européenne dite « directive nitrates » a été adoptée en 1991 pour réduire la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole dans un contexte de contamination significative des eaux de surface et des eaux souterraines […]. La transposition de la directive nitrates en France a mené à l’élaboration d’un Programme d’Action National (PAN), décliné en Programmes d’Action Régionaux (PAR). Ces programmes mettent en place un règlement applicable aux exploitations d’élevage et parcelles cultivées en zones vulnérables autour de huit mesures. Ces mesures obligatoires portent sur la gestion des effluents d’élevage, elles instaurent un principe d’équilibre de la fertilisation que l’on pourrait formuler ainsi : « la bonne dose au bon moment et au bon endroit », elles installent enfin des stratégies d’évitement du lessivage de nitrates avec la mise en place de couverts en inter-culture ou encore de couverts permanents le long des cours d’eau » (source : les services de l’État en Isère). 🐖💧🌱

Toutefois, les législateurs que nous avons élus au suffrage universel direct ne décident pas cela tout seuls. L’initiative du projet de loi vient toujours de la Commission européenne. Une fois qu’il a été débattu, amendé et voté au Parlement européen, le texte législatif doit être approuvé par le Conseil de l’Union européenne. Cela nécessite des négociations et des compromis pour que le texte final soit ratifié et puisse entrer en vigueur.

Voyons maintenant comment sont nommés les décideurs de ces deux autres instances. Ont-ils été désignés conformément aux valeurs démocratiques de l’UE et de ses États membres ou nous sont-ils imposés d’en haut ?

2. La Commission européenne

La Commission se compose de 27 commissaires, chacun étant issu d’un État membre. Si le nombre d’eurodéputés est à peu près proportionnel à la démographie de chaque pays, les 27 sont représentés à part égale au sein du gouvernement de l’UE. 🍰 Néanmoins, ce dernier ne défend pas, en principe, les intérêts et tel État ou de ses citoyens, mais ceux de l’Union dans son ensemble.

Chaque commissaire a la charge d’un dossier particulier. Sous la direction de l’Allemande Ursula von der Leyen, le collège des commissaires travaille main dans la main, chacun selon sa compétence. Par exemple, le Français Stéphane Séjourné s’occupe de la Prospérité et de la stratégie industrielle. Au début de l’été 2025, alors que le risque de guerre commerciale faisait rage avec l’administration Trump, il négociait un accord avec son homologue canadienne. La commissaire croate Dubravka Šuica se charge des questions méditerranéennes, en cohérence avec la position géographique de son pays d’origine. 🚤 Cela inclut le développement économique de la région (y compris en matière d’énergies renouvelables), la gestion des flux migratoires (en collaboration avec l’agence FRONTEX, qui protège les frontières extérieures de l’UE) et une partie de la diplomatie avec les États d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le Lituanien Andrius Kubilius, quant à lui, se charge de la défense et du secteur spatial, un portefeuille clé dans l’Europe de ces derniers mois. Les commissaires sont issus de plusieurs familles politiques représentées au Parlement. À l’heure où cet article est publié, la CE se compose de 12 membres issus du PPE, de 5 centristes, de 4 socialistes, d’1 commissaire affilié au groupe CRE et de 5 indépendants.

Les membres de la Commission européenne sont proposés par le Conseil européen, dont tous les membres ont été démocratiquement élus (au suffrage universel direct ou indirect, selon la constitution de chacun des 27 pays représentés). Une fois cette équipe désignée, elle doit être approuvée par le Parlement européen, qui est donc élu au suffrage universel direct. Les eurodéputés peuvent aussi pousser la Commission à démissionner, s’ils votent une motion de censure.

La Commission dispose du pouvoir exécutif de l’UE. Elle veille à l’application des règlements, directives et traités internationaux. Elle négocie les traités avec d’autres blocs, comme l’accord douanier qui a été annoncé avec l’administration Trump au milieu de cet été. 🍔 Néanmoins, ces textes juridiquement contraignants sont soumis au vote du Parlement européen avant de pouvoir entrer en vigueur.

3. Le Conseil européen

Cette institution se compose des chefs d’État ou de gouvernement des différents États membres. Tous ont été élus démocratiquement, au suffrage universel direct ou indirect. La France est représentée par notre chef d’État (actuellement Emmanuel Macron), élu au suffrage universel direct. En Espagne, comme le chef d’État est un roi qui n’a pas été désigné par son peuple, la personne qui représente les intérêts espagnols au sein du Conseil européen est le chef du gouvernement (actuellement Pedro Sánchez), élu au suffrage universel indirect, par des parlementaires élus à la proportionnelle. 👑

Voici comment Vie Publique (un site officiel de la République française) explicite le rôle du Conseil européen :

Le Conseil européen définit les orientations politiques générales de l’UE. Dans ce cadre, il rend des conclusions qui pourront être ou non suivies par les autres institutions (Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, Commission). Il n’exerce pas de fonction législative.

Le Conseil européen se réunit au moins deux fois par semestre sur convocation de son président, qui peut également organiser des réunions extraordinaires. Depuis l’élargissement du 1er mai 2004, toutes les réunions ont lieu à Bruxelles, à l’exception des réunions informelles.

Le Conseil européen ne doit pas être confondu :

  • avec le Conseil (ou Conseil des ministres ou Conseil de l’Union européenne) qui réunit les ministres de l’UE ;
  • avec le Conseil de l’Europe qui est une organisation distincte de l’Union européenne.

Un site officiel de l’UE apporte quelques précisions plus concrètes en la matière :

  • Il décide des grandes orientations et priorités politiques de l’UE, mais n’adopte pas d’actes législatifs.
  • Il traite les questions complexes ou sensibles qui ne peuvent être résolues à un niveau inférieur de coopération intergouvernementale.
  • Il fixe la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE, en tenant compte des intérêts stratégiques de l’Union et de ses implications en matière de défense.
  • Il désigne et nomme les candidats à certaines hautes fonctions de l’UE, comme la présidence de la Banque centrale européenne et de la Commission.

Sur chaque question, le Conseil européen peut :

Veuillez noter que cette institution de l’UE est intergouvernementale, et non supranationale (comme c’est le cas pour les 6 autres).

4. Le Conseil de l’Union européenne (ou « Conseil »)

Il se compose des ministres des gouvernements des États membres, qui représentent les intérêts de ces derniers (contrairement au PE, qui représente les citoyens). Les membres du Conseil sont donc, en principe, nommés en fonction du suffrage universel indirect (NDLR : cette expression est de moi et n’engage que moi), puisque chaque gouvernement est censé se conformer à la composition du parlement de l’État membre concerné. À l’heure où j’écris ces lignes, en France, les choses sont un peu plus compliquées que cela, mais l’Assemblée nationale a le pouvoir de faire tomber François Bayrou et son équipe par le biais d’une motion de censure.

Le Conseil européen réunit les ministres compétents en fonction des questions à l’ordre du jour. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’adopter une position commune quant à la guerre en Ukraine ou au Proche-Orient, les ministres des Affaires étrangères des 27 sont réunis autour de la commissaire en charge de ces questions, à savoir la centriste Kaja Kallas. Cette ancienne première ministre estonienne occupe le poste de Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ce qui implique qu’elle est aussi Vice-présidente de la Commission européenne. 🥈 Lorsqu’il s’agit de réformer la PAC, les ministres de l’agriculture des différents États membres se réunissent pour se mettre d’accord, de manière collégiale, sur la position à adopter.

Avec le Parlement européen, le Conseil de l’UE dispose du pouvoir législatif de l’Union européenne. Lorsqu’une directive ou un règlement est voté au Parlement, il est aussi soumis au vote du Conseil. Ce dernier représente les États membres, tandis que les eurodéputés représentent leurs citoyens. Au terme de négociations, de concessions et de compromis, le texte final peut être ratifié et entrer en vigueur.

5. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

Le rôle de cette institution est de s’assurer que le droit européen est interprété et appliqué de la même manière au sein de chaque État membre. ⚖ La Cour de justice de l’Union européenne a aussi pour mission de s’assurer que les pays et les institutions de l’UE se conforment au droit européen.

Cette instance judiciaire est indépendante, en vertu du principe démocratique de séparation des pouvoirs, élaboré au Siècle des Lumières par le philosophe Montesquieu.

Siégeant au Luxembourg, elle se compose de deux juridictions, à savoir :

  • La Cour de justice (qui se compose de 27 juges – soit 1 issu de chaque État membre + 11 avocats généraux)
  • Le Tribunal (qui se compose de 54 juges – soit 2 issus de chaque État membre).

Les juges et avocats généraux sont nommés par le Conseil de l’UE (donc des ministres en principe nommés conformément à la majorité élue au suffrage universel). Dans ce communiqué de presse consultable sur le site officiel du Conseil, on peut lire les conditions de nomination de 9 magistrats il y a presqu’un an :

Les juges et les avocats généraux sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d’un comité chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats à l’exercice des fonctions en question. Ils sont choisis parmi des personnes offrant toutes garanties d’indépendance.

Pour être nommés à la Cour de justice, les candidats doivent réunir les conditions requises pour l’exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, ou être des jurisconsultes possédant des compétences notoires.

Pour être nommés au Tribunal, les candidats doivent posséder la capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles.

Si vous souhaitez en savoir plus sur cette institution judiciaire, veuillez consulter ce lien (en anglais) ou le site officiel de la CJUE (en français).

6. La Cour des comptes européenne (CCE)

Voici ce que l’on peut lire sur le site officiel de cette institution de l’Union européenne dont le rôle est de « [veiller] à la perception et à l’utilisation correctes des fonds de l’UE et [de contribuer] à améliorer la gestion financière de l’Union. » :

En tant qu’auditeur externe indépendant établi à Luxembourg, la Cour des comptes européenne veille aux intérêts des contribuables européens. Bien qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir juridique, elle a pour mission d’améliorer la gestion du budget de l’UE par la Commission européenne et de rendre compte de la situation financière de l’Union en général.

Que fait la Cour des comptes ?

  • Elle contrôle les recettes et dépenses de l’UE afin de vérifier que les fonds sont correctement collectés et dépensés, qu’ils sont investis de manière à produire de la valeur ajoutée et qu’ils ont été comptabilisés.
  • Elle contrôle les personnes et les organisations qui gèrent des fonds de l’UE, y compris au moyen de contrôles aléatoires dans les institutions européennes (notamment la Commission), les États membres et les pays recevant des aides de l’UE.
  • Elle consigne ses constatations et ses recommandations dans des rapports d’audit destinés à la Commission européenne et aux États membres.
  • Elle rapporte les soupçons de fraude, de corruption ou d’autres activités illégales à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF).
  • Elle envoie un rapport annuel au Parlement européen et au Conseil de l’UE. Le Parlement décide, après l’avoir examiné, s’il approuve la gestion du budget de l’UE par la Commission.
  • Elle publie des avis préparés par des experts afin d’aider les responsables politiques à mieux gérer les fonds et à en rendre compte aux citoyens européens.

Elle publie également des avis sur les actes législatifs préparatoires qui auront une incidence sur la gestion financière de l’UE, ainsi que des documents de position, des analyses et d’autres publications sur les finances publiques de l’UE.

Pour être efficace, la Cour doit être indépendante vis-à-vis des institutions et des organes qu’elle contrôle. Elle est donc libre de décider :

  • ce qu’elle contrôle ;
  • comment elle effectue le contrôle ;
  • comment et quand elle présente ses conclusions.

Les travaux d’audit de la Cour visent principalement la Commission européenne, qui est le principal organe chargé de l’exécution du budget de l’UE. Mais la Cour travaille également en étroite collaboration avec les autorités nationales, car la Commission gère avec elles la plus grande partie des fonds de l’UE (environ 80 %).

Composition

Les membres de la Cour sont désignés par le Conseil, après consultation du Parlement, pour un mandat renouvelable de six ans. Ils choisissent parmi eux un(e) président(e) pour un mandat de trois ans, également renouvelable.

Ce sont donc les ministres des États membres, nommés sous contrôle démocratique, qui désignent les responsables de la CCE. Le Parlement européen, élu au suffrage universel direct, peut approuver ou non ces nominations.

Veuillez noter que cette juridiction ne condamne pas les responsables politiques ayant agi de manière malhonnête. Elle transmet ses rapports aux tribunaux nationaux, qui jugent les accusés conformément aux procédures équitables en vigueur dans les différents États membres. Ainsi, après que la CCE a prouvé que le MoDem a détourné 300 000 € et le FN-RN, au moins 4 millions d’euros, leurs responsables ont été traduits en justice devant le Tribunal judiciaire de Paris.

7. La Banque centrale européenne (BCE)

Le président ou la présidente de la BCE est désigné(e) par le Conseil européen, dont tous les membres ont été élus de manière démocratique. 💶

Comme toute banque centrale, cette institution est indépendante du pouvoir politique. Sa mission est de veiller à la stabilité des prix au sein de la zone euro. Elle fixe les taux directeurs, auxquelles les banques privées lui empruntent la monnaie créée. C’est sur cette base que ces dernières fixent les taux d’intérêts, qui orientent l’inflation à la hausse ou à la baisse. La BCE cherche à maintenir la montée des prix autour de 2 % par an, pour éviter les écueils de la déflation et de l’hyperinflation. 📉📈

L’institution européenne sise à Francfort travaille en collaboration avec les banques centrales nationales, au sein d’une organisation nommée « Eurosystème ». Eh non, la Banque de France n’a pas disparu avec le franc ! Elle participe même à certaines décisions collégiales relatives à la politique monétaire décentralisée menée au sein de la zone euro (plus d’informations sur ce lien). La France a donc gardé une part de souveraineté en la matière. En revanche, la Communauté financière africaine n’en dispose pas, puisque le cours du franc CFA est indexé sur l’euro. La politique monétaire de l’Afrique francophone est donc décidée à Francfort, ce qui pose question…


Au-delà de ces 7 institutions européennes reconnues par le Traité de Lisbonne, d’autres instances officielles entendent représenter les acteurs de terrain qui agissent au service des citoyens, à l’échelle locale et/ou nationale. Je vais vous donner deux exemples. À vous de juger si vous vous sentez représentés par ces responsables et si leur nomination vous semble démocratique. 🗳

Le Comité économique et social européen (CESE) est un organe consultatif de l’Union européenne ayant son siège à Bruxelles. Il se compose de 329 membres. Sa consultation est obligatoire dans les domaines fixés par les traités et facultative pour les autres domaines ; il peut être consulté par la Commission, le Conseil ou le Parlement. Le CESE peut également émettre des avis de sa propre initiative. Ses membres ne sont liés par aucun mandat. Ils exercent leurs fonctions en toute indépendance, dans l’intérêt général de l’Union (source : site officiel du Parlement européen).

Voici comment sont désignés ses membres :

A. Nombre et répartition nationale des sièges (article 301 du traité FUE et décision (UE) 2019/853 du Conseil arrêtant la composition du Comité économique et social européen).

Le CESE se compose actuellement de 329 membres, répartis entre les États membres comme suit :

  1. 24 pour l’Allemagne, la France et l’Italie ;
  2. 21 pour l’Espagne et la Pologne ;
  3. 15 pour la Roumanie ;
  4. 12 pour l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Tchéquie, la Grèce, la Hongrie, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède ;
  5. 9 pour la Croatie, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Lituanie et la Slovaquie ;
  6. 7 pour l’Estonie, la Lettonie et la Slovénie ;
  7. 6 pour le Luxembourg et Chypre ;
  8. 5 pour Malte.

Le CESE est passé de 350 à 329 membres le 1er février 2020, à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne […].

Les membres du CESE sont nommés par le Conseil à la majorité qualifiée, sur la base de propositions présentées par les États membres (comme dans cet exemple). Le Conseil consulte la Commission sur ces nominations (article 302, paragraphe 2, du traité FUE). Les États membres doivent assurer une représentation adéquate des différentes catégories de la vie économique et sociale. En pratique, les sièges sont répartis par tiers entre les employeurs, les salariés et les autres groupes (agriculteurs, commerçants, professions libérales, consommateurs, etc.). Source : site officiel du Parlement européen.

En somme, les travailleurs siégeant au CESE sont représentatifs du monde économique au sein de l’Union européenne, puisque toutes les catégories socio-professionnelles y sont représentées et puisque le nombre de membres par pays est cohérent avec la part que représente ces derniers au sein de l’ensemble de la population européenne. Ils sont désignés par le Conseil de l’UE, qui, rappelons-le, se compose des ministres nationaux, en principe légitimes sur le plan démocratique. Son rôle est consultatif, donc les avis du CESE peuvent éclairer les eurodéputés, mais ceux-ci sont libres de les prendre en compte ou non au moment du vote. 👨‍🌾👩‍🍳👷‍♂️👩‍🔬👩‍💼👨‍🚀

Le second organe que je souhaite vous présenter est le Comité européen des régions (CdR). Il s’agit de « l’organe de consultation et de représentation des Régions et des Villes de l’Union européenne. Il est le porte-parole des territoires auprès de la Commission européenne et du Conseil, auxquels il adresse des avis » (source : Toute l’Europe).

L’assemblée du CdR compte actuellement 329 membres (et autant de membres suppléants) issus des 27 pays de l’UE. Tous sont nommés par le Conseil, sur proposition des Etats membres, pour un mandat de cinq ans.

Le Conseil adopte la liste des membres et des suppléants conformément aux propositions faites par chacun des Etats membres. Pour appartenir au Comité, il est toujours nécessaire de détenir un mandat électoral au sein d’une collectivité régionale ou locale, ou d’être politiquement responsable devant une assemblée élue (source : Toute l’Europe).

En somme, les responsables siégeant au Comité européen des régions sont représentatifs de l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Sur le plan démocratique, ils ont tous été élus, donc désignés par les citoyens pour les représenter au sein du monde politique, le plus souvent à l’échelle locale. Ils peuvent donc légitimement porter la voix de leur territoire auprès des institutions européennes. Ils sont désignés par le Conseil de l’UE, qui, rappelons-le, se compose des ministres nationaux, en principe légitimes sur le plan démocratique. Le rôle du CdR est consultatif, donc ses avis peuvent éclairer les eurodéputés, les membres de la Commission européenne ou ceux du Conseil. Néanmoins, ceux-ci sont libres de les prendre en compte ou non au moment de voter ou de prendre une décision. 🏔🏞🏖🏜

Quelles sont les limites de ce système ?

Comme vous avez pu le lire, tout cela est assez complexe et les citoyens européens ont parfois l’impression que Bruxelles est une nébuleuse technocratique, loin de leur vie quotidienne, qui dicte sa loi sans prendre en compte la réalité du terrain. Pourtant, nous avons vu que tous les dirigeants de l’Union européenne sont élus au suffrage universel, qu’il soit direct ou indirect, ou nommés par des personnes élues démocratiquement (ou nommées sous contrôle démocratique). Vous avez le droit de critiquer l’UE et son fonctionnement, mais vous avez aussi le droit et le pouvoir de vous déplacer pour voter aux élections européennes. Si vous êtes contre ce système, vous avez tout à fait le droit de voter pour des partis eurosceptiques, qui porteront votre voix auprès des instances décisionnelles.

En 2005, le projet de Constitution européenne a été rejeté par référendum par les peuples français et néerlandais. 🗳 Toutefois, en 2009, le Traité de Lisbonne est entré en vigueur sans avoir été expressément soumis au vote des citoyens. Comme il reprend en grande partie le texte de la Constitution européenne, nous pourrions accuser nos dirigeants d’alors de nous l’avoir imposé au mépris d’une décision démocratique. Cependant, le Traité de Lisbonne améliore la démocratie au sein de l’UE. Il donne notamment un rôle plus important au Parlement, élu au suffrage universel direct et à la proportionnelle. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter cet article. Si, après l’avoir lui, vous estimez toujours que ce texte est antidémocratique, je vous invite à exprimer votre point de vue en commentaire. 🙂

Une autre limite souvent citée est le lobbying auprès des décideurs. Plus de 12000 organisations gravitent autour des eurodéputés pour les inciter à défendre leurs intérêts. Un gros quart sont des ONG, des plateformes et des réseaux, mais on y trouve aussi des entreprises (dont les GAFAM), des associations commerciales et entrepreneuriales, des syndicats, des think tanks et des instituts de recherche. Les lobbyistes mettent plus ou moins de moyens pour séduire nos parlementaires démocratiquement élus et influencer leur vote. Toutes les statistiques relatives à ces questions sont disponibles sur ce lien. En effet, si ce phénomène encourage la corruption, une certaine transparence est exigée. En principe, ces lobbies ont l’obligation de s’inscrire dans un Registre de transparence[1] où ils déclarent qui ils sont et quels sont leurs objectifs. 🎯

Comme tout système politique, l’Union européenne est entachée par des affaires de corruption et de détournement de fonds. Le scandale du Qatargate a impliqué certains élus, notamment socialistes. Plus d’un million et demi d’euros en liquide, principalement en provenance du Qatar, ont été retrouvés chez ces responsables occupant des postes clés. Cet argent provenait d’un lobbyiste qui ne figurait pas au registre de transparence. L’objectif était de défendre les intérêts de cet État du Golfe, ce qui constitue une tentative d’ingérence. Notons que cette affaire n’a touché que le Parlement européen. En effet, la Commission européenne dispose de règles de déontologie beaucoup plus strictes et les commissaires sont plus hermétiques à la corruption. Bien évidemment, la présidente du PE a réagi. Les eurodéputés impliqués dans ce scandale ont été sanctionnés, les règles de transparence ont été durcies et tous les lobbyistes défendant les intérêts du Qatar ont été bannis du Parlement. ⛔

Après la crise de la COVID-19, le plan de relance NextGenerationEU vise à restimuler l’investissement en Europe, notamment pour faire face aux concurrences étasunienne et chinoise, dans une logique de compétitivité verte. Cette vidéo montre comment des millions d’euros ont été détournés par des politiciens et des chefs d’entreprise pour financer, entre autres, des yachts et des saunas. Néanmoins, toute suspicion de fraude peut être signalée par les États membres aux autorités compétentes, comme l’OLAF et l’EPPO. 🕵️‍♂️

Enfin, comme tout système démocratique, l’Union européenne peut subir des dérives totalitaires. Actuellement, un projet législatif très controversé est sur la table. J’en suis informé par EU Made simple et El Viejo Continente, deux chaînes YouTube très sérieuses, que je suis avec assiduité depuis quelques mois pour préparer un concours de recrutement pour un poste au sein de la fonction publique européenne. 🌍 Ces canaux informent et analysent sans parti pris, excepté avec des prises de position europhiles et non eurosceptiques. Dans cette vidéo (en anglais) et cette vidéo (en espagnol), les deux youtubeurs spécialistes de l’Union européenne mettent en garde leurs abonnés et tout citoyen européen contre le projet de règlement présenté par la Commission et connu sous le nom de ChatControl 2.0. Ce texte, qui s’appliquerait donc tel quel dans tous les États membres s’il était ratifié, vise à protéger les mineurs contre la pédopornographie. 👮‍♂️ Bien sûr, il est indispensable de combattre et d’anéantir cette forme de criminalité ! Mais, à ces fins, ce projet de règlement entend décrypter les messageries privées chiffrées de bout en bout de tous les internautes du territoire européen. 🔓 Ainsi, une IA pourra y scanner tous les conversations, toutes les images et toutes les pièces jointes, en vue de détecter tout ce qui est potentiellement illégal. Des tests ont déjà été effectués et certaines personnes soupçonnées étaient des innocents qui échangeaient en toute légalité des photos et des écrits intimes, voire des private jokes. Par ailleurs, si une faille est créée dans le chiffrage pour que les autorités agréées puissent y accéder, cela permettrait d’espionner les opposants politiques. De même, toute personne disposant de la clé pourrait accéder à une conversation privée, y compris des hackers souhaitant pirater vos données médicales ou vos coordonnées bancaires. 🦠💳 Cette règle de scannage ne s’appliquerait pas aux responsables politiques, aux militaires et aux agents des forces de l’ordre, comme si ces personnes-là étaient exemptes de tout soupçon… Sur le plan démocratique, ce projet de règlement contrevient à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont les articles 7 et 8 disposent que toute personne a droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu’à la protection des données à caractère personnel. 🛡 En outre, si les citoyens européens se savent espionnés, ils n’oseront plus s’exprimer par écrit en privé, donc le débat public peut s’appauvrir, ce qui est nuisible à tout esprit démocratique. Enfin, l’efficacité de ce système est contestée, y compris par des experts de l’ONU, car cela alourdirait la charge de travail de la police, notamment par l’encombrement provoqué par les fausses pistes. Or, dans le cas d’abus sur mineur ou de préméditation d’attentats, il faut agir vite. ⚡ D’autres arguments sont développés par les deux youtubeurs susmentionnés, dont je vous invite à regarder les vidéos. Si vous le souhaitez, je peux chercher des sources équivalentes en français. Quoi qu’il en soit, ces deux influenceurs nous encouragent à interpeller nos députés européens pour qu’ils s’opposent au projet de règlement. ✋ J’ai visionné de nombreuses vidéos de leurs chaînes respectives (surtout d’El Viejo Continente) et c’est la première fois que je les vois prendre position au point de nous exhorter à écrire à nos parlementaires. Nous pouvons le faire à travers la plateforme Fight Chat Control. Bien sûr, je relaye ce point de vue qui me semble défendre le modèle démocratique européen, mais vous avez tout à fait le droit de penser autrement. Si vous êtes favorables à ce projet législatif (notamment après vous être informés sur d’autres sources), n’hésitez pas à nous faire part de votre opinion et de vos arguments en commentaire… 👇

Quelques concepts à élucider

Concernant la souveraineté, il est vrai que cette dernière est partiellement déléguée par les États membres à l’Union européenne. Néanmoins, nos dirigeants l’ont fait de leur plein gré, avec le mandat que leur avait donné le peuple par la voie des urnes. D’ailleurs, en France, le traité de Maastricht a été approuvé par référendum en 1992. Il est entré en vigueur en 1993, après avoir été ratifié par les institutions démocratiques de tous les États membres. ✍ De surcroît, Bruxelles ne gère que ce qui relève de sa compétence, en vertu du principe de subsidiarité. Ainsi, certains domaines sont gérés à l’échelle européenne. Ces compétences dites exclusives sont :

  • l’union douanière,
  • l’établissement de règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur,
  • la politique monétaire pour les pays de la zone euro,
  • la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche et
  • la politique commerciale commune.

En effet, il est logique que la politique monétaire soit gérée à l’échelle de la zone euro, que les règles de concurrence soient les mêmes dans l’ensemble du marché intérieur et que les pêcheurs de toutes les nationalités de l’UE, qui sont autorisés à pêcher dans la zone économique exclusive de tous les États membres, aient les mêmes droits et les mêmes devoirs. 💶🐟

Les compétences partagées sont définies par l’article 4 du TFUE. « L’UE et ses États membres sont en mesure de légiférer et d’adopter des actes juridiquement contraignants. Cependant, les États membres ne peuvent exercer leur compétence que dans la mesure où l’UE n’a pas exercé ou a décidé de ne pas exercer la sienne. La compétence partagée entre l’UE et ses États membres s’applique aux domaines suivants :

  • le marché intérieur ;
  • la politique sociale (pour les aspects définis de façon précise dans le traité exclusivement) ;
  • la cohésion économique, sociale et territoriale (politique régionale) ;
  • l’agriculture et la pêche (à l’exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer) ;
  • l’environnement ;
  • la protection des consommateurs ;
  • le transport ;
  • les réseaux transeuropéens ;
  • l’énergie ;
  • l’espace de liberté, de sécurité et de justice ;
  • les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique (pour les aspects définis dans le TFUE uniquement) ;
  • la recherche, le développement technologique et l’espace ;
  • la coopération au développement et l’aide humanitaire. »

En effet, les défis environnementaux se jouent à l’échelle globale et locale. 🌱🌍 Elle nécessite donc une coopération entre l’échelon local, régional, national et supranational. Concernant les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, l’Union européenne a prêté des fonds très importants aux États membres pour qu’ils puissent faire face à la pandémie de COVID-19, ce qui a permis de nombreuses mesures phares, du chômage partiel aux campagnes de vaccination (même si ces dernières restent controversées). En revanche, chaque État membre a mis en place sa propre politique de protection collective contre le coronavirus. Par exemple, lorsque la France mettait en place de deuxième confinement, l’Espagne laissait les bars ouverts en demandant l’application des gestes barrière et n’appliquant le couvre-feu qu’à partir de 22h. En effet, une grande partie de l’économie espagnole repose sur le secteur de la restauration et la culture de ce pays est intimement liée à la fête et aux sorties. 🎊🥤🥂

Enfin, les compétences d’appui relèvent uniquement des États membres quant à la réglementation et à la mise en œuvre de cette dernière. L’UE peut soutenir certaines politiques, mais laissera toute leur souveraineté aux États membres dans les domaines suivants :

  • la protection et l’amélioration de la santé humaine ;
  • l’industrie ;
  • la culture ;
  • le tourisme ;
  • l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport ;
  • la protection civile ;
  • la coopération administrative.

Ainsi, en vertu de l’article 6 du TFUE, l’Union européenne n’a pas le droit d’obliger un État membre à légaliser l’avortement, l’euthanasie ou le suicide assisté. Ces décisions reviennent au peuple et à leurs élus nationaux. 🗳

En démocratie, la transparence est importante. Les citoyens ont le droit d’être informés pour voter librement et les élus à qui ils ont confié un mandat doivent leur rendre des comptes. À ce titre, l’Union européenne peut mieux faire, car certaines décisions importantes sont prises à huis clos. C’est notamment le cas de la nomination des futurs membres de la Commission par le Conseil européen. En revanche, chaque session plénière du Parlement européen est retransmise en direct et chaque intervention des eurodéputés est interprétée en simultané dans les 24 langues officielles de l’UE. 🌍 De même, toute la législation européenne est traduite dans ces mêmes idiomes et disponible sur ce lien. Enfin, les procédures de la Cour de justice de l’Union européenne peuvent, elles aussi, être menées dans toutes ces langues, notamment pour que les justiciables et la partie défenderesse puissent comprendre l’ensemble du procès, y compris avec ses nuances.

Pour conclure cet exposé sur le fonctionnement des institutions de l’Union européenne, je vous propose une approche ludique et humoristique. Je vous invite à visionner la série Parlement, de France Télévision, qui est très bien faite. 🎥 C’est certes assez orienté à gauche, mais cela permet de comprendre le fonctionnement et les limites du système démocratique européen.

Conclusion

En somme, l’Union européenne est-elle démocratique ? Après avoir lu cet article, je vous laisse juge en la matière. À titre personnel, je dirais qu’elle l’est, mais qu’elle ne l’est pas parfaitement, comme tout système démocratique. 🗳 Néanmoins, vous et moi avons le pouvoir de changer les choses…

Comment nous, citoyens, nous pouvons agir pour porter notre voix auprès de l’UE ? Par les urnes, nous pouvons déjà :

  • Voter aux élections européennes, pour décider qui siège au Parlement et, indirectement, à la Commission.
  • Voter aux élections nationales, puisque cela influe directement ou indirectement sur la composition du Conseil européen et du Conseil de l’UE, mais également sur la nomination des membres de la Commission et des autres institutions de l’Union européenne.

Depuis 2012, « l’initiative citoyenne européenne (ICE) permet aux citoyens européens d’appeler la Commission européenne à proposer de nouvelles législations sur un sujet donné dès qu’un million de signatures [est récolté] », d’après cette source. 😀 Les conditions à remplir sont les suivantes :

  • recueillir au moins un million de signatures de ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, seuls les citoyens européens étant ainsi comptabilisés ;
  • concerner un domaine relevant de la compétence de la Commission européenne ;
  • porter sur une question pour laquelle les signataires estiment qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités.

Par ce biais, vous pouvez donc agir en tant que citoyen et défendre les causes qui vous importent, en lien avec les associations qui les défendent et les promeuvent. Néanmoins, la Commission est libre d’y donner suite ou non. Le collectif One of us a été l’un des premiers à réunir un nombre de signatures suffisant et à les déposer auprès de la Commission européenne. Cette dernière explique sur cette page pourquoi elle n’a pas demandé au Parlement et au Conseil de légiférer à partir de cette ICE. 📜

Enfin, si nous en avons la possibilité, nous pouvons soutenir financièrement les lobbies qui défendent les causes qui nous importent. Souvent, ce sont les grosses entreprises qui disposent des plus gros moyens. Elles défendent leurs intérêts, se cachant souvent derrière les emplois créés par leur activité. Cela est louable, mais voulons-nous sacrifier aux intérêts économiques des vies humaines et notre environnement ? Nous pouvons donc soutenir des ONG, qui défendent, par exemple, les droits humains, la paix, nos propres convictions politiques ou religieuses, des causes écologiques ou tout combat qui nous tient à cœur. 💓

Et vous, que pensez-vous de tout cela ? Pour vous, l’Union européenne est-elle assez démocratique ? Devrait-elle l’être davantage ? Qu’êtes-vous prêt à faire pour améliorer les choses ? N’hésitez pas à partager vos idées, quelles qu’elles soient, en commentaire ! 😊

Jean O’Creisren


[1] Malheureusement, à l’heure où je publie ces lignes, la plateforme est indisponible, sans doute car elle est en maintenance. Elle était accessible il y a quelques semaines. Je mettrai à jour le lien dès que ce sera possible. Si j’oublie, n’hésitez pas à me le signaler en commentaire.


Sitographie non exhaustive

Aldecoa Luzarraga, F. (2020). Cómo superar el bloqueo en el Consejo Europeo. infoLibre. https://www.infolibre.es/opinion/plaza-publica/superar-bloqueo-consejo-europeo_1_1181812.html

[NB : cet article relate un événement qui rejoint tout à fait l’intrigue de la saison 4 de la série Parlement ; peut-être ces faits l’ont-ils même inspirée…]

ARTE (22 août 2025). UE : Où sont passés les millions ? | ARTE Europe l’Hebdo [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=PVAsTVVMwPg

ARTE Europa Semanal (6 juin 2025). Dieselgate: el escándalo que mancha Europa [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=Vkov73n87YI

ARTE Europa Semanal (22 août 2025). Fondos europeos: ¿fraude a gran escala? [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=aS9yABcKKSQ

Avril, P. (2024). Collusion avec la Russie : l’AFD se fait étriller au Bundestag. Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/international/collusion-avec-la-russie-l-afd-se-fait-etriller-au-bundestag-20240411

Banque centrale européenne | Eurosystème. (2025). La mission de l’Eurosystème. https://www.ecb.europa.eu/ecb/orga/escb/eurosystem-mission/html/index.fr.html

Comité européen des régions. (Date inconnue). Page d’accueil. https://cor.europa.eu/fr

Conseil européen / Conseil de l’Union européenne (Dernier réexamen : 15 janvier 2025). Cour de justice de l’Union européenne: les représentants des États membres nomment neuf juges et un avocat général. https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/10/02/court-of-justice-of-the-european-union-member-states-representatives-appoint-nine-judges-and-an-advocate-general/

Consejo Europeo / Consejo de la Unión Europea. (Dernière mise à jour : 14 juillet 2025). Cometido del Consejo Europeo en propuestas y nombramientos. https://www.consilium.europa.eu/es/european-council/role-nominations-appointment/

Consejo Europeo / Consejo de la Unión Europea. (Dernière mise à jour : 11 janvier 2024). Sistema de votación: ¿Cómo vota el Consejo? https://www.consilium.europa.eu/es/council-eu/voting-system/

Consejo Europeo / Consejo de la Unión Europea. (Dernière mise à jour : 8 février 2024). Unanimidad. https://www.consilium.europa.eu/es/council-eu/voting-system/unanimity/

El Viejo continente (18 avril 2020). 5 CLAVES para ENTENDER la UNIÓN EUROPEA [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=6DiYB3yWqAg

El Viejo continente (19 août 2025). ChatControl: ¿Fin a la LIBERTAD de EXPRESIÓN en la UNIÓN EUROPEA? [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=DAcwoq_NRx0

EU Made Simple (26 août 2025). Chat Control Explained – The EU’s Plan to Read YOUR Messages [Vidéo]. YouTube. https://youtu.be/xPC56I1nLH0?si=369bMtt4zmEDXNsR

EU Made Simple (20 décembre 2022). Is Qatar BRIBING the EU? #Qatargate [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=xrNcJyrrvQQ

European Commission. (Dernière mise à jour : 16 juillet 2025). Andrius Kubilius. https://commission.europa.eu/about/organisation/college-commissioners/andrius-kubilius_en

European Commission. (Dernière mise à jour : 25 août 2025). Dubravka Šuica. https://commission.europa.eu/about/organisation/college-commissioners/dubravka-suica_en

European Commission. (Date inconnue). Kaja Kallas. https://commission.europa.eu/about/organisation/college-commissioners/kaja-kallas_en

European Public Prosecutor’s Office (EPPO). (Date inconnue). Structure et caractéristiques. https://www.eppo.europa.eu/fr/structure-et-caracteristiques

European Union. (Date inconnue). Court of Justice of the European Union (CJEU). https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/search-all-eu-institutions-and-bodies/court-justice-european-union-cjeu_en

European Union. (Date inconnue). European Court of Auditors (ECA). https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/search-all-eu-institutions-and-bodies/european-court-auditors-eca_en

Fight Chat Control. (2025). L’UE veut (encore) scanner vos messages privés et photos. https://fightchatcontrol.eu/

FRANCE 24 (17 décembre 2022). « Qatargate » : jusqu’où l’Europe s’est-elle vendue ? [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=HZEd6H89Eoo&t=120s

Journal officiel de l’Union européenne. (26 octobre 2012). CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE (2012/C 326/02). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012P/TXT

Ledroit, V. (Article mis à jour le 1er août 2025). Les groupes du Parlement européen : les non inscrits (NI). Toute l’Europe. https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-du-parlement-europeen-les-non-inscrits-ni/

L’esprit critique (4 avril 2025). L’inéligibilité : Analyse [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=ZxV1B1WgVUo

Les services de l’État en Isère. (Date inconnue). Directive nitrates. https://www.isere.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Environnement/Politique-et-enjeux-de-l-Eau/Gestion-des-effluents/Directive-nitrates

Maciejewski, M., Udo Bux, U. et Massay-Kosubek, K. (Article mis à jour en mai 2025). Le Comité économique et social européen. Parlement européen : Fiches thématiques sur l’Union européenne. https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/15/spain

Office européen de lutte antifraude (OLAF). (Dernière actualité : 31 juillet 2025). European Anti-Fraud Office. https://anti-fraud.ec.europa.eu/index_fr

One of Us. (Dernière publication sur le site : 6 octobre 2023). Qui sommes-nous ?https://oneofus.study/qui-sommes-nous/

Palacin, H. et Bachler, E. (Mis à jour le 11 avril 2025). Qu’est-ce qu’une initiative citoyenne européenne ? Toute l’Europe : Comprendre l’Europe. https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/qu-est-ce-qu-une-initiative-citoyenne-europeenne/

[NB : l’objet de l’initiative citoyenne européenne « One of Us » telle que formulée sur ce site de vulgarisation est inexacte. La page y afférente du site de la Commission européenne, référencée ci-avant, est plus fiable en la matière.]

Parlement européen. (Date inconnue). Les groupes politiques du Parlement européen. https://www.europarl.europa.eu/about-parliament/fr/organisation-and-rules/organisation/political-groups

(+ page officielle de chacun des groupes politiques du PE et de différents partis mentionnés ou non dans l’article « L’Union européenne est-elle démocratique ? » Comme je ne soutiens pas toutes ces formations, je n’ai aucune envie d’améliorer le référencement de leur site en plaçant un lien y afférent sur mon blog)

Parlement européen. (Date de publication : 09-01-2018 ; Date de dernière mise à jour : 10-06-2021 – 22:48). Registre de transparence : Qui sont les lobbyistes auprès de l’UE ? (Infographie). https://www.europarl.europa.eu/topics/fr/article/20180108STO91215/qui-sont-les-lobbyistes-aupres-de-l-ue-infographie

POLITICO Europe (15 décembre 2022). Qatargate: How the key players are connected | POLITICO [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=jZRg5y6AQR0

République française. (Dernière modification : 20 mars 2023). Qu’est-ce que le Conseil européen ? https://www.vie-publique.fr/fiches/20336-quest-ce-que-le-conseil-europeen

Syndicatho. (2025). Le principe de subsidiarité. https://syndicatho.org/la-doctrine-sociale-de-leglise/principes-de-la-doctrine-sociale-de-leglise/principe-de-subsidiarite/

Unión Europea. (Date inconnue, mais source intéressante pour le défi à relever). Buscar todas las instituciones y órganos de la UE. https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/search-all-eu-institutions-and-bodies_es

Unión Europea. (Date inconnue). Elecciones y nombramientos en las instituciones de la UE. https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/leadership/elections-and-appointments_es

Union européenne (Date inconnue). Conseil européen. https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/search-all-eu-institutions-and-bodies/european-council_fr

Union européenne (Date inconnue). Forum de l’initiative citoyenne européenne : One of Us. https://citizens-initiative-forum.europa.eu/document/one-us_fr

Union européenne (Date inconnue). NextGenerationEU: pour une Europe plus forte et plus résiliente. https://next-generation-eu.europa.eu/index_fr

Versión consolidada del Tratado de funcionamiento de la Unión Europea (2012). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/ES/TXT/PDF/?uri=CELEX%3A12012E%2FTXT&from=FR

Version consolidée du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne — Première partie — Les principes — Titre I — Catégories et domaines de compétences de l’Union — Article 2 (2016). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=URISERV:ai0020

Nota bene : toutes ces sources ont été consultées entre le 11 et le 25 août 2025.

Crédits image : Pixabay.


Vous aussi, vous aimez refaire le monde ?

Vous aimerez :

Écoconduite radicale

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

Pour une écologie à visage humain

Quelle Europe voulons-nous ?

Que peuvent nous apporter les personnes en situation de handicap ?

Pourquoi enseigner l’histoire ?

Limitation à 80 : bonne ou mauvaise idée ?

La COMECE envoie un message de soutien au peuple ukrainien et appelle à prier pour la paix

Lettre ouverte à François Bayrou

Nahouaille-Aquart

Faut-il privatiser les aéroports de Paris ?

1609 : quand l’Espagne a expulsé tous les musulmans qui vivaient sur son territoire

Voyage en Aragon et en Catalogne

Voyage en Castille

Des arguments pour évangéliser

Faut-il légaliser l’euthanasie et le suicide assisté ?

L’ingérence et la corruption dans l’histoire politique de l’isthme de Panama (1501-1941)  

Envie d’acheter des vêtements durables ?

Pensées de Laurent Jouet

Brève réflexion sur l’intelligence artificielle…

Révolte des Comunidades : quand la Castille s’insurgeait contre ses élites autoproclamées


La COMECE envoie un message de soutien au peuple ukrainien et appelle à prier pour la paix.

La guerre en Ukraine fait rage depuis maintenant plus de trois ans. À l’heure où je vous écris, les grands de ce monde se défient et négocient, ce qui peut déboucher soit sur une sortie de ce conflit régional soit sur une Troisième Guerre mondiale. Peut ceux d’entre vous qui croient en Dieu, je vous invite à prier avec moi pour la paix.

À l’approche de la fête de Noël 2024, la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a adressé un message de solidarité au peuple ukrainien et aux responsables des différentes confessions chrétiennes dans le pays.

De ma propre initiative, j’ai traduit cette lettre ainsi que la présentation qui en est faite sur le site officiel de la COMECE.

Par la présente, je certifie avoir informé par écrit cette institution que j’avais publié sur ce blog la traduction ci-après. Je m’engage à supprimer cet article si la COMECE me le demande. En outre, je précise que ladite traduction n’engage en rien la responsabilité de la COMECE, mais uniquement la mienne. Seule la version originale en anglais fait foi.

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture et vous invite à être artisans de paix, par vos paroles, vos actes et vos prières. 🕊

Fraternellement,

Jean O’Creisren

Photo de Andy Kuzma sur Pexels.com

Affaires étrangères de l’UE, Questions politiques, Presse

13 décembre 2024

Actualités

La COMECE envoie une lettre de solidarité au peuple ukrainien

Une église orthodoxe en Ukraine endommagée par une attaque militaire russe (Photo : Shutterstock/Baranov Oleksandr)

La Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a réaffirmé sa solidarité à l’égard du peuple d’Ukraine dans une lettre adressée au Conseil ukrainien des Églises et organisations religieuses, le lundi 2 décembre 2024.

Télécharger la lettre (version originale en anglais)

Signée par le Président de la COMECE, S. E. Mgr Mariano Crociata, la lettre exprime le soutien et la  compassion constants des évêques de l’UE à l’égard de l’Ukraine, au milieu de ses souffrances continues causées par l’agression à grande échelle de la part de la Russie.

Ce message reconnaît l’immense souffrance endurée par le peuple ukrainien pendant plus de 1 000 jours de conflit. La COMECE souligne que la destruction généralisée, le déplacement de millions de personnes et la perte d’innombrables vies humaines a ouvert des plaies profondes en Ukraine.

Mgr Crociata fait observer que cette douleur est partagée par des communautés de toutes les religions et à travers l’ensemble des nations. Dans cette lettre, la COMECE assure au peuple ukrainien que les évêques de l’Union européenne restent unis dans la prière, particulièrement durant les mois d’hiver rigoureux et au milieu de l’incertitude géopolitique.

Les prélats de l’UE expriment l’espoir que personne ne se sentira abandonné et prient pour que tous ceux qui souffrent à cause de la guerre aient accès à la chaleur et à un toit.

En outre, la COMECE appelle les dirigeants politiques en Europe et au-delà à agir avec sagesse, intégrité et discernement, en vue d’une paix juste et durable.

Alors que Noël approche, cette lettre offre un message d’espérance inspiré par la naissance de Jésus-Christ. La COMECE souligne la pertinence immuable des enseignements du « Prince de la Paix », qui dépasse toutes les frontières et encourage la solidarité ainsi que la fraternité humaine, notamment pendant les périodes d’épreuve.

Cette missive fait suite à une série d’initiatives de solidarité et de plaidoyer prises par la COMECE en soutien au peuple d’Ukraine depuis l’agression à grande échelle par la Russie en 2022.

Télécharger la lettre (version originale en anglais)

Source : Site officiel de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), https://www.comece.eu/comece-sends-letter-of-solidarity-to-the-people-of-ukraine/ [consulté le 7 février 2025]


Aux chers représentants et membres du Conseil ukrainien des Églises et organisations religieuses

Bruxelles, le 2 décembre 2024

Chers frères et sœurs,

Au nom de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), je souhaite exprimer nos sincères et permanentes solidarité et proximité aux membres du Conseil ukrainien des Églises et organisations religieuses, ainsi qu’à tout le peuple souffrant d’Ukraine. L’esprit de compassion et de soutien envers votre pays martyrisé et sa population a été profondément ressenti lors des prières et discussions qui se sont tenues au cours de la récente Assemblée plénière d’automne de la COMECE.

Depuis maintenant plus de 1 000 jours, en conséquence de l’agression militaire à grande échelle opérée par la Russie, vous endurez d’immenses épreuves et souffrances. La destruction a atteint des niveaux accablants, forçant des millions de personnes à quitter leur foyer et réclamant trop de vies humaines, celles de civils comme celles de défenseurs de votre patrie. Les blessures de ce conflit, la souffrance et la dévastation sont profondément ressenties non seulement aux quatre coins de votre pays, mais aussi au-delà de ses frontières, indépendamment des religions et confessions.

En ces temps difficiles et incertains, plus particulièrement au moment où l’hiver s’installe et où le paysage géopolitique reste tendu du fait de l’instabilité, nous souhaitons vous assurer que les Évêques de l’UE restent unis dans la prière en faveur du peuple ukrainien et d’une paix juste et durable. Au milieu du froid et de la peur que vivent actuellement beaucoup de nos frères et sœurs, nous prions pour que personne ne se sente abandonné. Puissent tous ceux qui souffrent des conséquences de la guerre trouver de la chaleur, un toit et un accueil. Nous prions également pour ceux qui assument des responsabilités politiques en Europe et dans le monde, afin que leurs décisions soient guidées par les vertus de sagesse, d’intégrité et de discernement, au service de la justice et de la paix.

Pour les chrétiens, l’approche de la Fête de Noël, la naissance de Jésus-Christ, offre une lueur d’espérance. En ces temps d’obscurité, nous souhaitons partager avec tout le peuple souffrant d’Ukraine le message du « Prince de la Paix », qui transcende toutes les frontières et nous invite à embrasser la solidarité ainsi que la fraternité humaine dans nos cœurs et dans nos actes.

Fraternellement vôtre,

+Mariano Crociata

Président de la COMECE


Les deux textes ci-dessus ont été traduits de l’anglais par Jean O’Creisren.


Vous aussi, vous aimez refaire le monde ?

Vous aimerez :

Quelle Europe voulons-nous ?

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

Pour une écologie à visage humain

Brève réflexion sur l’intelligence artificielle…

Que peuvent nous apporter les personnes en situation de handicap ?

Écoconduite radicale

Pourquoi enseigner l’histoire ?

Limitation à 80 : bonne ou mauvaise idée ?

Lettre ouverte à François Bayrou

Nahouaille-Aquart

Faut-il privatiser les aéroports de Paris ?

Voyage en Castille

Des arguments pour évangéliser

Faut-il légaliser l’euthanasie et le suicide assisté ?

Quel est le sens de Noël ?

L’ingérence et la corruption dans l’histoire politique de l’isthme de Panama (1501-1941)  

Envie d’acheter des vêtements durables ?

Pensées de Laurent Jouet

Révolte des Comunidades : quand la Castille s’insurgeait contre ses élites autoproclamées

L’Union européenne est-elle démocratique ?

Mon corps sous le regard de Dieu

Écologie :  à quoi ressemblerait réellement une Nouvelle donne verte visant à inventer une économie mondiale post-pandémie ?

Qu’est-ce que la liberté ?

Voyage en Aragon et en Catalogne

Bx Noël Pinot : quel exemple pour nous aujourd’hui ?

Révolte des Comunidades : quand la Castille s’insurgeait contre ses élites autoproclamées

En politique, nous le voyons bien, la situation est parfois compliquée et tendue. Les gouvernants qui marquent l’histoire d’un pays ont généralement dû faire face à ses crises majeures. Lorsqu’il arrive en Espagne, à l’âge de 16 ans, le jeune Charles de Habsbourg, Charles Ier de Castille et d’Aragon, qui deviendra Charles Quint du Saint-Empire romain germanique, suscite l’incompréhension et l’impopularité, au point qu’une partie des Castillans se révolte contre son autorité. Ce mouvement connu comme celui des Comunidades fait couler beaucoup d’encre encore aujourd’hui et peut nous éclairer sur les crises politiques que nos pays peuvent traverser de temps à autre.

Lors de cet exposé chronologique de cette insurrection, nous tenterons de répondre à la question suivante : Pourquoi et comment s’est déroulée la guerre civile ouverte par le mouvement comunero en Castille et quelles ont été ses conséquences politiques dans l’Espagne de la première moitié du XVIe siècle ?

Il convient tout d’abord d’élucider les causes de l’éclatement du conflit. Nous verrons ensuite les différentes péripéties de ce dernier, puis nous tirerons les leçons de la victoire finale du camp royaliste.

Bas Moyen Âge et début de la Renaissance : les racines d’une crise multifactorielle

Après un Moyen Âge marqué par une fragmentation politique et la reconquête progressive de la péninsule par les royaumes chrétiens aux dépens des États hispano-musulmans, la dynastie des Trastamare s’imposa en Castille et en Aragon. Les héritiers des deux branches, Isabelle et Ferdinand, se marièrent en 1469 et conquirent en janvier 1492 le royaume de Grenade. Ainsi, ils mettaient fin à près de huit siècles de présence musulmane dans la péninsule Ibérique. Moins d’un an plus tard, le marin Christophe Colomb allait prendre possession de terres jusqu’alors inconnues au nom des Couronnes des Espagnes. En raison de leur défense de la foi chrétienne, le pape Alexandre VI leur octroya le surnom de « Rois catholiques ». Cela inclut des épisodes glorieux, comme la volonté de la reine Isabelle que les autochtones du continent américain fussent évangélisés et en aucun cas réduits en esclavage (ce qui ne sera malheureusement pas toujours appliqué sur le terrain), mais aussi des réalités sombres de l’histoire du catholicisme, comme l’expulsion des juifs et l’établissement de l’Inquisition.

Le 26 novembre 1504, Isabelle mourut à Medina del Campo. S’ensuivit une rivalité politique entre son mari Ferdinand et son genre Philippe le Beau, duc de Flandres et archiduc d’Autriche. Ce dernier œuvrait de manière manipulatrice envers son épouse Jeanne, héritière légitime du royaume de Castille, confisquant le courrier que lui envoyait ses parents et la gardant sous sa domination. Inquiète pour sa fille et pour l’avenir du royaume, Isabelle avait donc rédigé son testament de sorte que l’archiduc fût écarté du trône qu’il convoitait tant. Néanmoins, le Flamand sut acquérir à sa cause une partie de la noblesse castillane, qui s’était sentie lésée par les Rois catholiques. Il était à couteau tiré avec le roi d’Aragon, qui revendiquait lui aussi la régence, car Jeanne était considérée comme incapable de gouverner du fait de troubles mentaux. Finalement, ce fut Philippe qui parvint à obtenir ladite régence, mais il mourut en 1506 à Burgos, peut-être empoisonné. Dans l’urgence créée par cette situation imprévisible, la relève fut assurée par le cardinal Cisneros, archevêque de Tolède, ancien confesseur d’Isabelle la Catholique et exécuteur testamentaire de cette dernière. En 1509, Jeanne arriva à Todesillas, où elle fut enfermée jusqu’à sa mort, considérée comme incapable de gouverner le royaume de Castille. L’année suivante, au terme d’un bras de fer diplomatique entre l’empereur Maximilien et le roi Ferdinand d’Aragon, ce dernier put assumer la régence du royaume de sa défunte épouse, avec l’appui des Cortes (députés élus pour représenter la population ce certaines villes castillanes).

Le 23 janvier 1516, le roi d’Aragon et régent de Castille mourut à son tour. Son testament désignait son petit-fils Charles de Habsbourg comme héritier des royaumes hispaniques. En effet, Jeanne était toujours tenue à l’écart des responsabilités politiques, officiellement à cause d’une prétendue maladie mentale. Dans les faits, beaucoup d’historien contestent son surnom de « Jeanne la Folle » et estiment que ce fut en raison des prétentions masculines de son père Ferdinand, de son mari Philippe et de son fils Charles qu’elle fut enfermée dans le palais royal de Tordesillas jusqu’à sa mort. Depuis le décès du souverain, la régence fut à nouveau assumée par le cardinal Cisneros.

En toute illégalité au regard du droit castillan, Charles fut couronné le 14 mars 1516 sur une terre étrangère, en l’occurrence à la cathédrale Sainte-Gudule de Bruxelles. Cela provoqua un premier scandale au sein de la population castillane. Par la suite, il débarqua à la tête d’une suite de nobles flamands et bourguignons, qui s’habillaient de manière luxueuse et colorée, heurtant les us et coutumes locaux, qui étaient beaucoup plus sobres. Cette noblesse étrangère prit possession des meilleurs postes au sein de l’administration, assurant les responsabilités les plus importantes et s’assurant les meilleurs revenus. Le pouvoir était officieusement assuré par Guillaume de Croÿ (aussi connu sous le nom de « sieur de Chièvres »), qui fit nommer son neveu d’une vingtaine d’années à la tête de l’archevêché de Tolède, pour succéder à l’incontesté cardinal Cisneros. Se sentant déclassée, la noblesse castillane commença à nourrir une certaine rancœur envers ceux qu’elle considérait comme des envahisseurs. De plus, le jeune roi (qui n’avait que 16 ans lors de son arrivée en Espagne), ne maîtrisait pas la langue castillane.

Au terme d’une longue période d’instabilité, le jeune souverain inexpérimenté s’imposait donc d’une manière très maladroite et créait une situation de tension avec ses sujets. Après cet aperçu de la situation politique complexe que fut celle du royaume de Castille à l’avènement de Charles Quint, voyons quelles causes économiques sous-tendirent le conflit qui allait être déclenché.

Depuis le décès d’Isabelle la Catholique, la Castille non seulement était frappée par l’instabilité politique, mais souffrait également de mauvaises récoltes et d’épidémies. Alors que Burgos, Bilbao et les autres ports de la côte septentrionale fleurissaient grâce à l’exportation de la meilleure laine du royaume, Séville bénéficiait des routes maritimes qui reliaient l’Italie aux ports hanséatiques et de son monopole commercial avec l’empire colonial naissant en Amérique. Cependant, à l’intérieur des terres de la péninsule, sur cette plaine aride que les Espagnols nomment « la Meseta », l’industrie textile était incapable de concurrencer les produits étrangers, de meilleure qualité. Ces derniers étaient notamment fabriqués en Flandres grâce à la bonne laine castillane exportée à travers Burgos et Bilbao, tandis que la matière première de mauvaise qualité restait en Castille et donnait nécessairement lieu à de moins bons produits. Cela occasionna, à partir de 1510, des différends entre les tisserands locaux et les négociants burgalais, qui ne furent ni arbitrés ni tranchés par les souverains et régents successifs du fait de l’instabilité politique et de questions considérées comme prioritaires. À cela s’ajoutait une inflation assez élevée. Si le centre de la péninsule Ibérique correspond aujourd’hui aux 70 % du territoire que les démographes nomment « l’Espagne vidée » (la España vaciada), il s’agissait au contraire de la zone la plus dense et la plus urbanisée au début du XVIe siècle. Cet accroissement démographique en zone urbaine état observable depuis l’époque des Rois catholiques et les mauvaises récoltes ne permettait pas de nourrir tout le monde correctement. Cette population nombreuse souffrait aussi d’un certain isolement par rapport aux régions côtières. En effet, Ségovie, Valladolid, Palencia, Tolède et Cuenca étaient éloignées des ports, le relief faisant par ailleurs obstacle au transport et à la logistique. Ces villes du centre péninsulaire se trouvaient donc en marge de la croissance liée au commerce international. Cette dichotomie entre le centre marginalisé et les périphéries reliées aux échanges extérieurs explique pourquoi la guerre civile se limita surtout à la Meseta et au bassin du Douro. Quand la révolte des comuneros éclata, les villes andalouses refusèrent de rejoindre le mouvement des insurgés car le statu quo leur convenait. De même, Burgos finit par changer de camp.

Mais, avant de détailler les différentes péripéties de cet épisode historiques, revenons aux causes économiques qui le déclenchèrent. Ce qui aviva le plus les tensions fut la levée par Charles d’un impôt sur les villes castillanes, pour financer les pots-de-vin promis aux princes électeurs du Saint-Empire romain germanique. En effet, à travers la corruption de ces derniers, le jeune co-roi d’Espagne put succéder à son grand-père, l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg, au terme de sa fameuse rivalité avec François Ier pour ce poste si convoité. Il fut élu le 28 juin 1520 et la nouvelle lui parvint le 6 juillet suivant. S’étant endetté d’immenses sommes auprès de banquiers flamands et italiens, il convoqua les Cortes de Castille à La Corogne le 20 mars 1520, juste avant de s’embarquer depuis la Galice pour rejoindre Aix-la-Chapelle, en vue de son couronnement. Au sein du royaume de Castille, dix-huit villes bénéficiaient en effet d’un statut d’autonomie spécial, octroyé par la Couronne en remerciements de services rendus à l’époque de la Reconquête chrétienne. Il s’agissait de Tolède, Avila, Ségovie, Madrid, Burgos, Zamora, Guadalajara, León, Salamanque, Toro, Soria, Cuenca, Murcie, Valladolid, Jaén, Cordoue, Séville et Grenade. Afin que l’impôt pût être perçu, il était nécessaire d’obtenir l’accord des Cortes, une assemblée à laquelle les représentants de ces dix-huit municipalités bénéficiaient du droit de vote. La Couronne intervint pour faire élire les procuradores les moins hostiles à la mesure fiscale et déploya une campagne pour influencer le vote de ces derniers. Déjà, le mécontentement populaire se fit entendre et la réunion des Cortes fut reportée au 31 mars et se tint à Saint-Jacques-de-Compostelle. Finalement, au terme d’une propagande habile de la part du pouvoir royal, le servicio fut approuvé. Cela fut l’élément déclencheur du conflit, comme nous le verrons plus bas…

Après avoir dressé un tableau des causes politiques et économiques de cette crise, intéressons-nous aux conceptions du pouvoir royal à la fin du Moyen Âge et au début du XVIe siècle.

Les Siete partidas del sabio rey don Alfonso el [décimo] ont constitué une référence jusqu’à l’époque de Charles Quint. Ce document établit ce que doit être le pouvoir royal, en se basant sur la pensée d’Aristote, le droit romain, les pères de l’Église, etc. Quelle est la légitimité du pouvoir politique ? D’après saint Augustin et d’autres sources patristiques, il est reçu de Dieu. Selon le ius natural, qui trouve sa source chez Aristote, les animaux peuvent vivre seuls, mais l’homme, qui est faible, doit vivre en communauté. Au sein de celle-ci, le fort protège le faible. Dans le cas de la Castille, le concept du pouvoir d’origine divine prime sur le ius natural au cours du bas Moyen Âge. Depuis Platon et Aristote, il existe une loi des nombres : lorsqu’il y a un gouvernant, ou parle de « roi » ou de « souverain ». Mais le gouvernement peut aussi être assuré par quelques-uns (nobles ou élite) ou par la multitude (république). On dénombre donc 3 types de gouvernement, mais chacun peut être bon ou mauvais, ce qui nous donne donc un total de 6 : la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie (ce que nous entendons aujourd’hui comme la « démagogie ») sont les formes perverties des 3 options susmentionnées. Ce qui sépare les formes positives et négatives est, en particulier, la notion de « bien commun » (le bien de la collectivité). Par exemple, la tyrannie tient compte uniquement de l’intérêt personnel du gouvernant. Malgré le risque de tyrannie, l’Espagne préfère la monarchie aux époques médiévale et moderne. L’unicité est présente dans la loi divine (monothéisme) et la loi naturelle (par exemple, le corps est régi par une seule tête et les abeilles, par une seule reine). Par ailleurs, l’expérience et l’expertise du souverain comptent. Nous pouvons remarquer les différences entre le roi et le tyran dans quelques comédies du Siècle d’or, ainsi que dans les chroniques. Les idées politiques sont diffusées parmi les gens cultivés et le peuple.

Le roi pratique la justice (c’est un juge). Le tyran est injuste et cruel. Le roi aime ses sujets et cherche à les garder dans la paix et la concorde. Dans cet amour, il y a une certaine réciprocité, mais pas d’égalité. L’amour du roi implique qu’il protège son peuple. L’amour de ce dernier envers le souverain implique obéissance et loyauté. En revanche, le tyran n’aime pas ses sujets. Le peuple craint et hait le tyran. Le roi favorise la prospérité de son peuple. Le tyran l’appauvrit, y compris par une pression fiscale excessive, qui constitue une forme de tyrannie. Le roi se montre à ses sujets, à travers des audiences. Le tyran se cache car il craint ses sujets, sachant qu’ils le haïssent. Dans l’Espagne du Siècle d’or, un valido (sorte de premier ministre) reçoit au nom du monarque. Au début du règne de Charles Quint, ce rôle est officieusement rempli par le Flamand Guillaume de Croÿ, aussi appelé le « sieur de Chièvres ». Comme il ne fait pas confiance à ses sujets, le tyran ne recrute pas de soldats parmi son peuple, mais fait appel à des mercenaires. Les chroniques accusent Henri IV de Castille (prédécesseur d’Isabelle la Catholique) de tyrannie, à cause de sa luxure et d’autres méfaits. Le roi doit exercer les 3 vertus théologales (foi, espérance et charité), ainsi que les 4 vertus cardinales (prudence, justice, force et tempérance). Il doit combattre tous les vices (avarice, orgueil, etc.). Non seulement il se doit d’être un bon chrétien, mais il doit veiller à la foi de ses sujets. L’on insiste de plus en plus sur la vertu de prudence pour un bon gouvernement. La justice implique la récompense et la punition, mais aussi la justice distributive. Les bons sujets méritent des récompenses, des titres, des grâces royales, des terres ou autres gratifications, pour les services rendus à la Couronne, mais aussi pour le fait d’être issus d’une lignée noble. C’est pour cette raison que les aristocrates castillans ne comprirent pas le comportement de la suite flamande et bourguignonne de Charles de Habsbourg. Si la libéralité est une vertu, la prodigalité est un vice.

Les sept Partidas furent rédigées sous les auspices du roi Alphonse X le Sage. Ce document insiste sur l’origine divine du pouvoir et sur la justice, avec une série de métaphores pour qualifier le roi (« tête », « cœur », « berger », « père », etc.). Nous entrons ensuite dans une allusion à Aristote ainsi qu’à la faiblesse de l’homme. Dans la loi IX, il est écrit que le roi doit davantage veiller au bien commun qu’à ses intérêts personnels. La loi X décrit les caractéristiques de la tyrannie. Le tyran y est vu comme un usurpateur du pouvoir. Dans ce cas, le peuple est autorisé à lui résister (on parle du « droit de résistance »). Par la suite, le texte traite des obligations réciproques du souverain et des sujets.

Le roi doit à la fois être aimé et craint. En revanche, la notion de pacte et de contrat est absente des Partidas. Cela est inclus dans l’origine divine du pouvoir. Selon certains théoriciens, il existe une médiation de la part de la communauté. D’après saint Thomas d’Aquin, Dieu a donné le pouvoir à la communauté et celle-ci s’est choisi un roi. Si un contrat existe, il est possible d’y mettre fin, dans certaines conditions. La communauté peut récupérer la délégation de pouvoir. Ce fut le cas avec Henri IV, ainsi qu’avec les Comunidades. Celles-ci considéraient que le peuple devait protéger le roi de ses ennemis, de ses sujets et de sa propre personne (c’est-à-dire de ses erreurs).

Au sein de l’université de Salamanque, on assistait à un renouveau de la pensée politique, influencée par l’Italie, qui était alors le laboratoire politique de l’Europe. Ces idées arrivaient en Espagne notamment du fait des liens étroits entre la péninsule Italique et la Couronne d’Aragon. Plus tard, les idées de l’humanisme civique arrivèrent de Florence. La participation politique des citoyens fut valorisée. Ce courant est aussi appelé « aristotélisme politique », car il s’agit d’une nouvelle interprétation de La Politique d’Aristote, due à une nouvelle traduction vers le latin du texte original. En 1502, un texte sur l’humanisme civique fut publié à l’université de Salamanque. D’après le document médiéval Auxilium et Concilium, le roi ne gouvernait pas seul, mais s’appuyait sur ses conseillers, à savoir les nobles. Peut-être le peuple pouvait-il gouverner dans les villes. En effet, la classe moyenne qui y habitait était instruite et avait connaissance de ces idées. La revendication des villes de s’auto-gouverner explique la relation entre l’humanisme civique et l’aristotélisme enseigné par les universitaires salmantins, d’une part, et les revendications politiques des Comunidades, d’autre part. Entre autres, Madrigal, Fernando de Roa et Pedro de Osma s’attaquèrent à la monarchie (surtout héréditaire), considérée comme tyrannique (du fait de la division entre les sujets, de la pression fiscale, du recrutement de mercenaires, etc.). Pour eux, la couronne ne doit pas être attribuée par la naissance, mais par le mérite. Roa considérait que les charges doivent être rotatoires. En outre, le tyrannicide était justifié ; la résistance contre la tyrannie était une forme de guerre juste, si le Pape la soutenait, par exemple à travers l’excommunication du tyran. D’après Roa, le Pape n’avait rien à voir avec cela ; le peuple pouvait agir de sa propre initiative si le souverain attentait au bien commun. Les sermons des Franciscains et des Salmantins (qui n’ont pas été publiés, mais dont nous avons écho à travers des correspondances et des témoins) eurent beaucoup d’importance dans la diffusion de ces idées.

À ce sujet, penchons-nous sur l’usage de la notion de « pacte » dans les archives des Cortes (surtout celles d’Ucaña en 1469), ainsi que sur la relation entre le roi et les sujets. Il y est question d’une mauvaise gouvernance, à cause du roi Henri IV, et il y est rappelé que le rôle du souverain est de « bien régir ». Tout le reste (lignée, richesse et honneur) n’a aucune importance si la justice n’est pas exercée. Le roi est considéré comme un mercenaire du peuple, qui le rémunère à travers l’impôt. On retrouve un passage de ce texte presque copié à identique aux Cortes de Valladolid.

En somme, les causes qui sous-tendent la révolte des Comunidades sont multiples : instabilité politiques depuis des décennies, fragilité économique d’une aire enclavée et comportement incompréhensible d’un jeune souverain inexpérimenté qui n’a aucune idée des us et coutumes du pays. À ces facteurs s’ajoute un substrat idéologique favorable à un élan révolutionnaire, à une époque où la population est plus instruite qu’au Moyen Âge. En effet, l’imprimerie et l’émergence d’une proto-bourgeoisie s’inscrit dans le mouvement intellectuel de la Renaissance, bien que d’aucuns considèrent le mouvement communero comme la dernière révolte médiévale. À la suite de l’approbation de l’impôt spécial, voyons maintenant le déroulement chronologique du conflit…

La révolte des Comunidades de Castille

Le 20 mai 1520, le roi s’embarqua pour se faire couronner empereur en Allemagne, laissant la régence au cardinal Adrien d’Utrecht. Le mécontentement était particulièrement visible à Tolède. Cependant, ce fut à Ségovie que se produisit l’événement déclencheur. De retour des Cortes, le député (procurador) Rodrigue de Tordesillas chercha à justifier son changement d’avis l’ayant amené à voter en faveur de l’impôt. Sourde à ses explications, la foule en furie le lyncha et l’exécuta. À Burgos, Zamora, Guadalajara, León et Avila, les faits ne se révélèrent pas aussi graves, mais plusieurs députés durent fuir pour échapper à la mort et leurs propriétés furent parfois brûlées. Le régent décida d’envoyer Rodrigo Ronquillo y Briceño à la tête d’une troupe, pour qu’il puisse enquêter sur le meurtre de Ségovie. Les habitants se rassemblèrent autour du chef de la milice de la ville, Jean Bravo. Lorsque le « Maire Ronquillo » assiégea la cité, les insurgés envoyèrent des émissaires aux autres villes castillanes pour faire front contre les troupes royalistes. Sous le commandement de Jean de Padilla, un millier de Tolédans, avec cent cavaliers et quelques pièces d’artillerie, constituèrent une partie des renforts. De même, Madrid envoya quatre cents hommes et Salamanque mit également des troupes à disposition.

Le 8 juin, Tolède convoqua les dix-huit villes bénéficiant du droit de vote aux Cortes à une assemblée extraordinaire visant à annuler la perception du servicio et d’établir de nouvelles normes fiscales. Il fut également demandé que les charges publiques et ecclésiastiques fussent exclusivement occupées par des Castillans. Par ailleurs, il était question d’interdire la sortie d’argent du royaume et de remplacer Adrien d’Utrecht par un régent originaire de Castille jusqu’au retour du roi. Cette assemblée extraordinaire se tint à Avila le 1er août 1520. Certaines villes y participèrent et d’autres non. Cette junte, tête politique des insurgés, prit le nom de Santa Junta del reino, afin de se légitimer à une époque où le catholicisme était une référence incontestable. Par ailleurs, les bases idéologiques du mouvement étaient notamment la philosophie politique de saint Thomas d’Aquin, reprise par des moines prêcheurs (notamment des universitaires de Salamanque) qui propageaient les idées d’insurrection au sein des populations citadines lors de leurs sermons. Quoi qu’il en fût, cette assemblée se positionnait comme un gouvernement parallèle à celui du roi. Son président était Pedro Lasso de la Vega y Guzmán. Quant au bras militaire du mouvement, l’armée comunera, elle fut dirigée par Juan de Padilla, qui était secondé par Juan de Zapata, Mgr Antonio de Acuña (évêque de Zamora) et Francisco de Maldonado. La Junta extraodinaria de procuradores de las comunidades castellanas émit la Ley perpetua del reino de Castilla, que certains considèrent comme le premier projet de constitution démocratique des temps modernes. Ce document limitait le pouvoir du roi et entendait s’imposer à lui, tout en rééquilibrant les devoirs fiscaux des villes castillanes avec ce qui était considéré comme juste et patriote.

Tandis que l’on débattait à Avila, Adrien d’Utrecht tenait à punir Ségovie pour son indiscipline. À cette époque, la ville marchande de Medina del Campo disposait d’une importante réserve d’artillerie. Rodrigo Ronquillo et Mgr Antonio de Fonseca y furent donc envoyés à la tête de douze mille hommes, arrivant au petit matin du 21 août. Les habitants, comprenant que ces armes à feu seraient utilisées contre la population de Ségovie, refusèrent de les livrer. Fonseca, fatigué d’attendre, ordonna que l’on mette le feu aux maisons afin de distraire et de disperser les citadins. Contre toute attente, ces derniers restèrent groupés autour des canons, laissant leur ville se consumer. Pour éviter que cette dernière brûlât entièrement, Fonseca ordonna la retraite. Le lendemain, les habitants de Medina tuèrent le regidor Gilles Nieto, qui, d’après eux, était complice des royalistes. Les nouvelles de l’incendie de Medina del Campo se diffusèrent dans toute la Castille, provoquant l’indignation générale. Des villes qui étaient jusqu’alors restées en marge du conflit rejoignirent le mouvement comunero.

Juan Padilla et ses troupes prirent la direction de Tordesillas, où Jeanne Ière était enfermée. Ils y parvinrent le 29 août. Celle qui n’avait jamais été déchue de son titre de reine de Castille et d’Aragon pouvait constituer un soutien fondamental pour les insurgés. Elle pouvait, si elle le souhaitait, destituer le régent, et même retirer la couronne à son fils Charles. Toutefois, elle refusa catégoriquement de trahir ce dernier. Le siège de la Junta General del Reino s’établit donc dans cette villa. Burgos, Soria, Ségovie, Avila, Valladolid, León, Salamanque, Zamora, Toro, Tolède, Cuenca, Guadalajara, Murcie et Madrid y envoyèrent des représentants. Les quatre villes andalouses du royaume (Séville, Grenade, Cordoue et Jaén) refusèrent de s’associer au mouvement, car leurs intérêts économiques étaient diamétralement opposés à ceux des villes de l’intérieur des terres, comme nous l’avons vu plus haut. Pour ces ports reliés à la Hanse, l’union sous une même autorité des royaumes hispaniques avec le Saint-Empire romain germanique constituaient une excellente nouvelle pour le commerce.

Au fil du temps, les revendications des députés (surtout tolédans, ségoviens et salmantins) prirent une tournure de moins en moins fiscale et de plus en plus politique, notamment sous l’influence des thèses thomistes défendues par les universitaires de Salamanque. En revanche, les procuradores représentant Burgos, Soria et Valladolid, entre autres, ne se montraient pas excessivement intéressés par des changements politiques radicaux. Suivant l’exemple de l’insurrection citadine des comuneros, une série de soulèvements antiseigneuriaux se déroulèrent dans les campagnes. L’aristocratie foncière commença donc à craindre pour ses privilèges. Le 9 septembre, Charles Quint nomma le connétable de Castille (Íñigo Fernández de Velasco y Mendoza) et l’amiral de Castille (Fadrique Enríquez) comme gouverneurs du royaume aux côtés du cardinal Adrien. Peu à peu, la haute noblesse, qui s’était montrée neutre jusqu’alors, voire avait soutenu, dans certains cas, les comuneros (un mouvement qui concernait surtout, sociologiquement, la proto-bourgeoisie et la petite noblesse, ce que nous appellerions aujourd’hui « la classe moyenne »), rejoignit le camp royaliste. Le Conseil royal s’établit à Medina de Rioseco, un fief de l’amiral, afin d’organiser la contre-offensive envers les forces armées des Comunidades.

Le 1er novembre, Burgos abandonna le mouvement des insurgés, car le connétable octroya à cette ville ce qu’elle réclamait. Économiquement, cette dernière n’était pas tellement désavantagée par le statu quo, d’autant plus qu’elle était dirigée par les négociants en laine, qui s’enrichissaient aux dépens d’autres villes castillanes. Ce coup dur commença à éroder le mouvement comunero. De son côté, Adrien d’Utrecht se rendit compte que la noblesse allongeait volontairement le conflit, afin de recevoir de plus grands avantages de la part du roi. Pour la contenter et grossir ses troupes, le régent avait besoin de moyens financiers. Il se tourna vers des banquiers portugais et des commerçants castillans pour contracter les emprunts nécessaires. Le comte de Haro dirigeait l’armée royaliste qui avait ainsi pu être formée. Elle se composait de fantassins et de piquiers recrutés en Navarre, en Galice et dans les Asturies (des régions où les idées comuneras n’avaient pas conquis l’opinion publique), ainsi que de pièces d’artillerie provenant de Navarre et de Fuenterrabía, ce qui exposait la frontière à une invasion française.

À la fin de l’automne 1520, l’armée des Comunidades était inférieure en nombre et se composait désormais des milices urbaines des villes les plus engagées, des trois cents soldats armés de l’évêque de Zamora, Antoine de Acuña, ainsi que de l’artillerie stationnée à Medina del Campo. Elle était dirigée par Pedro Girón y Velasco, troisième comte d’Ureña, qui, semble-t-il, s’était joint à la cause des insurgés par rancune personnelle envers Charles Quint, qui lui avait refusé le duché de Medina Sidonia.

Après quelques escarmouches, les deux armées se trouvaient face-à-face début décembre 1520, dans les environs de Medina de Rioseco. Le 2 décembre, Pedro Girón déplaça une partie importante de son armée pour occuper Villalpando, un fief du connétable de Castille, dans l’actuelle province de Zamora. Ce mouvement imprudent exposa Tordesillas à une offensive ennemie. Fut-ce une erreur de stratégie ou une trahison ? La question reste un mystère. Comme la mouvement comunero était divisé entre une majorité radicale et une minorité qui souhaitait négocier une paix consensuelle, il est possible que cet officier eût sabordé le mouvement, fatigué de l’intransigeance de ses camarades. Il est également probable qu’il se fût jeté dans un piège tendu par l’adversaire, ou qu’il calculât mal la stratégie à suivre. Quoi qu’il en fût, la garnison de Tordesillas tomba, après une farouche résistance, et les insurgés perdirent leur principale pièce sur l’échiquier, à savoir la reine Jeanne.

Après la chute de la villa, la Junte s’installa à Valladolid. Soria et Guadalajara cessèrent d’y envoyer des représentants. La direction du mouvement par Padilla fut remise en question, en particulier par ceux qui défendaient l’idée d’une sortie négociée du conflit. Les hommes de Mgr Acuña, qui avaient pour mission de mener une campagne de recrutement afin de gonfler les rangs de l’armée comunera, pillaient en réalité tout sur leur passage, ce qui attira l’hostilité de l’opinion publique dans les campagnes. Aux côtés de nombreux échecs militaires, le seul succès sur cette période fut la conquête de Torrelobatón (actuelle province de Valladolid) en février 1521, où s’établirent Padilla et ses hommes. Les désertions au sein des troupes insurgées furent nombreuses. Entre autres, Pedro Lasso de la Vega changea de camp en mars 1521.

De leur côté, les royalistes renforçaient leur puissance militaire. Depuis début avril, ils rassemblaient de plus en plus de troupes. Padilla hésitait entre rester à Torrelobatón et partir vers une autre place forte où trouver les renforts nécessaires. Après avoir gaspillé plusieurs jours précieux, quand l’armée fidèle à la Couronne était déjà au complet, il prit la route pour Toro au cours de la nuit du 22 au 23 avril. Tandis que l’armée transitait difficilement à cause de la pluie aux environs de Villalar (province de Valladolid, à environ 4 ou 5 heures de marche de Torrelobatón), elle fut prise par surprise par la cavalerie de l’amiral de Castille, qui les avait rejoints depuis Medina de Rioseco. Ce fut une hécatombe. Les rebelles furent massacrés et l’on dit que des centaines, voire des milliers de cadavres jonchèrent le champ de bataille.

Le lendemain, Juan de Padilla, Juan Bravo et Francisco de Maldonado furent jugés par Rodrigo Ronquillo et décapités sur la place du village de Villalar. Sans leurs principaux chefs, en moins d’un mois, toutes les villes comuneras capitulèrent, à l’exception de Tolède, qui put tenir plus longtemps, puisque les Français avaient profité de la démilitarisation de la Navarre pour envahir ce royaume. La priorité pour le camp royaliste fut donc de défendre la frontière septentrionale des Espagnes. Après la fuite de Mgr Acuña, María Pacheco, veuve de Padilla, prit les rênes de la cité tolédane, cherchant à perpétuer les revendications de son défunt mari. L’actuelle capitale de Castille-la-Manche signa un accord de reddition fin octobre, mais ne déposa pas les armes avant que le roi en personne eût signé cet acte.

Victoire du camp royaliste et restauration de l’ordre monarchique

Quelques mois plus tard, María Pacheco tenta de raviver les braises de l’insurrection, mais ce fut un échec. Elle dut s’enfuir au Portugal, dont sa famille était originaire et où elle resta jusqu’à sa mort, en 1531.

Les villes qui s’étaient rebellées durent payer, pendant vingt ans, un impôt spécial, afin de couvrir les dommages occasionnés durant la révolte. Les personnes ayant été lésées par le conflit (pertes économiques, bien abîmés par les rebelles, mais aussi frais avancés par l’Amiral de Castille pour financer la victoire du camp royaliste) déposèrent des plaintes et réclamations auprès des tribunaux compétents. Des impôts indirects (notamment des taxes sur certains produits alimentaires) furent donc levés dans certaines villes anciennement insurgées pour que les autorités publiques pussent mettre en œuvre ces dédommagements. L’économie de la Castille sombra, notamment l’industrie textile. Les dernière Cortes convoquées furent celles de 1538.

Néanmoins, les comuneros remportèrent quelques victoires dans la manière dont Charles Quint allait gouverner. De fait, ce dernier donna un rôle proéminant à ses royaumes hispaniques ainsi qu’à ses conseillers castillans. En outre, le roi distribua des « grâces » (mercedes), titres et autres privilèges aux nobles l’ayant aidé à rétablir l’ordre monarchique.

La répression ne fut pas excessivement sévère. Un « Pardon général » fut proclamé par le roi-empereur à l’occasion de la Toussaint 1522, peu après son retour en Espagne. Beaucoup de personnes ayant participé militairement à la rébellion furent graciées, car le souverain voulait prendre un nouveau départ avec ses sujets, en cette période où commençait l’âge d’or de l’empire colonial espagnol et le Siècle d’or de la littérature en langue castillane. Néanmoins, certains hauts responsables furent exécutés, y compris Mgr Acuña. Charles risquait l’excommunication pour la mise à mort d’un évêque, mais il ne fut pas inquiété par le Pape de l’époque, qui n’était autre qu’Adrien d’Utrecht, qui avait été choisi par le collège des cardinaux pour succéder à Clément VII et régnait sous le nom d’Adrien VI.

Pour conclure, cette révolte de la proto-bourgeoisie, d’une partie du clergé (régulier comme séculier) et de la petite noblesse des villes de Castille trouvait son origine dans une situation économique compliquée, ainsi que dans la maladresse d’un monarque inexpérimenté qui fut parachuté, très jeune, à la tête d’un pays instable depuis des décennies. Né d’une contestation principalement fiscale, le mouvement commença à s’étayer idéologiquement à mesure qu’il s’imposait militairement. Néanmoins, la perte du soutien de Burgos, le renforcement des troupes royalistes et les divisions internes firent avorter ce projet politique avant qu’il ne pût se structurer davantage.

À l’heure où j’écris ces lignes, nous pourrions être tentés de tracer quelques parallèles avec la situation actuelle de notre pays. En effet, la couleur politique du gouvernement semble imposée d’en haut, de manière non représentative du vote des Français lors des dernières élections législatives. La question fiscale est au cœur des contestions à l’égard de l’exécutif, de même que ce qui mit le feu aux poudres en Castille il y a cinq siècles. Enfin, l’hostilité à l’égard des Flamands perçus comme des pillards rappellent certains arguments de l’extrême-droite à l’égard de populations étrangères trop vite associées à la délinquance. A contrario, cette prise de pouvoir par de puissants étrangers pourrait aussi nous rappeler l’ingérence d’Elon Musk et de la Russie, qui inondent les réseaux sociaux de propagande pour des partis qui menacent l’ordre établi, ainsi que de fake news.

Loin de moi l’idée de prendre parti, et encore moins d’inciter à la révolte ! Pour vous prouver ma bonne foi en la matière, j’évoquerai différentes tentatives de récupération du mouvement comunero au cours des siècles postérieurs. Certains idéologues libéraux les ont vus comme des précurseurs progressistes, tandis que d’autres les considéraient comme des réactionnaires refusant la modernité qu’allaient apporter les Habsbourg et leur ouverture sur le reste de l’Europe. Or, ces deux analyses sont biaisées. En effet, lire l’histoire des Comunidades avec les références politiques de l’époque contemporaine relève de l’anachronisme. En ce début des temps modernes, les références idéologiques étaient surtout issues de la philosophie gréco-romaine et de la théologie catholique, notamment thomiste. De même que la doctrine sociale de l’Église, cette ébauche d’idéologie basée sur une tradition bien plus ancienne que la Révolution française ne saurait être placée sur un axe droite-gauche. Si cet épisode de l’histoire peut nous éclairer pour construire intelligemment le monde d’aujourd’hui, gardons-nous des raccourcis trop faciles et replaçons toujours les choses dans leur contexte.

Jean O’Creisren


Vous aussi, vous aimez refaire le monde ?

Vous aimerez :

Écoconduite radicale

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

Pour une écologie à visage humain

Quelle Europe voulons-nous ?

Que peuvent nous apporter les personnes en situation de handicap ?

Pourquoi enseigner l’histoire ?

Limitation à 80 : bonne ou mauvaise idée ?

Lettre ouverte à François Bayrou

Nahouaille-Aquart

Faut-il privatiser les aéroports de Paris ?

1609 : quand l’Espagne a expulsé tous les musulmans qui vivaient sur son territoire

Voyage en Aragon et en Catalogne

Voyage en Castille

Des arguments pour évangéliser

L’Union européenne est-elle démocratique ?

La COMECE envoie un message de soutien au peuple ukrainien et appelle à prier pour la paix

Brève réflexion sur l’intelligence artificielle…

Faut-il légaliser l’euthanasie et le suicide assisté ?

L’ingérence et la corruption dans l’histoire politique de l’isthme de Panama (1501-1941)

Envie d’acheter des vêtements durables ?

Pensées de Laurent Jouet

Lettre ouverte à François Bayrou

Quelque part en France, le samedi 14 décembre 2024

L’honorable François Bayrou, Premier ministre de la République française

Monsieur le Premier ministre,

Tout d’abord, c’est avec une grande joie que j’ai appris votre nomination en tant que chef de notre futur gouvernement. En effet, votre nom figurait sur le premier bulletin que j’ai glissé dans l’urne. C’était à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007. J’avais tout juste 18 ans et je croyais en votre projet. J’ai voté pour le MoDem aux élections législatives qui ont suivi, puis à nouveau pour vous en 2012 au premier tour. Depuis, il m’est arrivé de voter à droite, au centre et à gauche, mais jamais pour le FN/RN ou Reconquête ! Je n’ai jamais non plus donné ma voix à un parti que je considérais comme d’extrême gauche.

À l’heure où je vous écris, vous n’avez pas encore formé votre gouvernement. Je ne doute pas que vous saurez rassembler des ministres de différentes familles politiques. En effet, à mon sens, notre pays a besoin de la droite comme de la gauche, de création de richesses aussi bien que d’écologie, de liberté d’entreprendre et de justice sociale, ou encore de respect de la vie humaine autant que d’inclusion de toutes les minorités.

Comme vous, je confesse la foi catholique. En vertu du commandement divin « Tu ne tueras point » (Ex 20, 13), je vous demande instamment de nommer un(e) Ministre de la santé qui mettra fin au projet de loi sur la fin de vie. Je me permets de vous demander de faire tout votre possible pour que l’euthanasie et le suicide assisté ne soient pas légalisés en France et pour que la République garantisse à tous l’accès aux soins palliatifs.

Je sais que notre pays est très endetté. J’ai bien conscience que, plus nous sommes nombreux sur Terre, plus nous polluons. Pour ma part, je tâche de vivre de manière écologique et de m’acquitter honnêtement de toutes mes obligations fiscales.

Ayant une certaine fibre sociale, j’accompagne également Laurent, un ami atteint de la maladie neurodégénérative de Huntington. Depuis quelques années, il est hospitalisé en permanence, avec parfois de violentes crises accompagnées de tentations suicidaires. En tant qu’ami, j’ai toujours cherché à l’accompagner au mieux, par des visites, de longs appels téléphoniques et un soutien constant l’aidant à choisir la vie. C’est avec son accord que je vous parle de sa situation et que je le nomme. Très récemment, alors même que les symptômes s’accentuaient, il a décidé de continuer à se battre et s’est joint à ma voix pour vous écrire cette lettre. Aux yeux d’une partie de la société, Laurent est un assisté, qui vit de l’argent public et n’apporte rien. Or, je peux vous témoigner que cela est faux. Quand il va bien, il écrit des apophtegmes et pensées de différentes natures (y compris humoristique), que vous pourrez lire sur ce lien. Vous qui êtes un homme de lettres, peut-être conviendrez-vous que ses écrits constituent un grand apport à l’humanité, au même titre que ceux de Baudelaire, de Maupassant, et d’autres grands écrivains qui souffraient de symptômes dépressifs et/ou étaient considérés comme inutiles par l’esprit du monde.

En tant qu’électeur plutôt centriste, pétri de valeurs républicaines, citoyen du pays des droits de l’Homme, fils d’agriculteur et écrivain cherchant à suivre le Christ, je me permets de vous adresser cette requête du fond du cœur. Je ne sais pas si vous aurez le temps de lire cette missive avant de constituer votre gouvernement, ou de la lire tout simplement. Si, dans votre « emploi du temps de ministre », vous prenez le temps de parcourir ces quelques lignes, je vous en remercie vivement. Quelle que soit la politique que vous conduirez en la matière, je garderai la même estime pour votre personne et resterai attaché à la France ainsi qu’aux valeurs de la République.

Dans l’attente d’une réponse favorable, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma haute considération.

Jean O’Creisren

Dans cette vidéo, Laurent Jouet invite monsieur François Bayrou et tous nos dirigeants à ne pas légaliser l’euthanasie. Il invite également toutes les personnes qui souffrent à continuer à se battre. 💪✌

Vous aussi, vous vous intéressez aux questions politiques ?

Vous aimerez :

Écoconduite radicale

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

Brève réflexion sur l’intelligence artificielle…

Pour une écologie à visage humain

La COMECE envoie un message de soutien au peuple ukrainien et appelle à prier pour la paix

Quelle Europe voulons-nous ?

Que peuvent nous apporter les personnes en situation de handicap ?

L’Union européenne est-elle démocratique ?

Pourquoi enseigner l’histoire ?

Limitation à 80 : bonne ou mauvaise idée ?

La injerencia y la corrupción en la Ha política del Istmo de Panamá

Faut-il privatiser les aéroports de Paris ?

Voyage en Castille

Voyage en Aragon et en Catalogne

Ecología: ¿A qué se parecería un «Nuevo Trato Verde» para una economía mundial pospandémica?

Faut-il légaliser l’euthanasie et le suicide assisté ?

L’ingérence et la corruption dans l’histoire politique de l’isthme de Panama (1501-1941)  

Envie d’acheter des vêtements durables ?

Pensées de Laurent Jouet

Écologie :  à quoi ressemblerait réellement une Nouvelle donne verte visant à inventer une économie mondiale post-pandémie ?

« Alí el magrebí » de Ska-P (paroles en français)

« The Lobby Man » de Ska-P (paroles en français)

« El Olvidado » de Ska-P (paroles en français)

« Patriotadas » de Ska-P (paroles en français)

« Consumo gusto » de Ska-P (paroles en français)

« Niño Soldado » de Ska-P (paroles en français)

« Welcome to hell » de Ska-P (paroles en français)

Commentaire linguistique sur Quevedo

¡¡Hola tod@s!!

Ces jours-ci, je passe les oraux de l’agrégation externe d’espagnol. C’est dans cette optique que j’ai écrit il y a quelques mois « L’ingérence et la corruption dans l’histoire politique de l’isthme de Panama (1501-1941) ».

Ce dimanche 23 juin an de grâce 2024, je sors de ma première épreuve (explication de texte, avec un sujet très perché) et je discute avec d’autres candidats, notamment de l’épreuve de commentaire linguistique, à laquelle nous aurons droit demain. Je me rends compte que je suis complètement à la ramasse dans ce que je suis censé connaître. Vous me connaissez : j’aime les défis ! 💪 Ceux s’entre vous qui me suivent depuis longtemps savent que je peux me taper 20h de car pour éviter de polluer en prenant l’avion et que je suis capable de marcher 40 km en un jour en mode clodo parce que je dois arriver à telle date à tel endroit pour pouvoir faire la manche. Ceux qui me connaissent personnellement savent aussi que je peux passer une nuit blanche pour fignoler une traduction avant de sauter dans un covoiturage pour réclamer mon visa au consulat d’Algérie. Récemment, je me suis couché à 5h50 pour corriger des copies dans les délais et me suis levé à 7h pour pouvoir faire passer des oraux à 8h30. Cette agreg, je la prépare en mode guerrier, avec les moyens du bord, donc j’ai un peu dépassé ma dose habituelle de caféine pour rédiger cet article avant de me reposer pour l’épreuve de linguistique du lendemain. 😉

Photo de Leeloo The First sur Pexels.com

Voici l’extrait que j’ai choisi de commenter, tiré de Los Sueños, de Francisco de Quevedo (Espagne, première moitié du XVIIe siècle). Il s’agit d’un sujet qui est tombé à la session 2023.

PRÓLOGO AL INGRATO Y DESCONOCIDO LECTOR

Eres tan perverso que ni te obligué llamándote pío, benévolo ni benigno en los demás discursos porque no me persiguieses; y ya desengañado quiero hablar contigo claramente. Este discurso es el del infierno; no me arguyas de maldiciente porque digo mal de los que hay en él, pues no es posible que haya dentro nadie que bueno sea. Si te parece largo, en tu mano está: toma el infierno que te bastare y calla. Y si algo no te parece bien, o lo disimula piadoso o lo enmienda docto, que errar es de hombres y ser herrado de bestias o esclavos. Si fuere oscuro, nunca el infierno fue claro; si triste y melancólico, yo no he prometido risa. Solo te pido, lector, y aun te conjuro por todos los prólogos, que no tuerzas las razones ni ofendas con malicia mi buen celo. Pues, lo primero, guardo el decoro a las personas y solo reprehendo los vicios; murmuro los descuidos y demasías de algunos oficiales sin tocar en la pureza de los oficios; y al fin, si te agradare el discurso, tú te holgarás, y si no, poco importa, que a mí de ti ni dél se me da nada. Vale.

DISCURSO

Yo, que en el Sueño del Juicio vi tantas cosas y en El alguacil endemoniado oí parte de las que no había visto, como sé que los sueños las más veces son burla de la fantasía y ocio del alma, y que el diablo nunca dijo verdad, por no tener cierta noticia de las cosas que justamente nos esconde Dios, vi, guiado del ángel de mi guarda, lo que se sigue, por particular providencia de Dios; que fue para traerme, en el miedo, la verdadera paz. Halléme en un lugar favorecido de naturaleza por el sosiego amable, donde sin malicia la hermosura entretenía la vista (muda recreación), y sin respuesta humana platicaban las fuentes entre las guijas y los árboles por las hojas, tal vez cantaba el pájaro, ni sé determinadamente si en competencia suya o agradeciéndoles su armonía. Ved cuál es de peregrino nuestro deseo, que no halló paz en nada desto. Tendí los ojos, cudiciosos de ver algún camino por buscar compañía, y veo, cosa digna de admiración, dos sendas que nacían de un mismo lugar, y una se iba apartando de la otra como que huyesen de acompañarse. Era la de mano derecha tan angosta que no admite encarecimiento, y estaba, de la poca gente que por ella iba, llena de abrojos y asperezas y malos pasos. Con todo, vi algunos que trabajaban en pasarla, pero por ir descalzos y desnudos, se iban dejando en el camino unos el pellejo, otros los brazos, otros las cabezas, otros los pies, y todos iban amarillos y flacos. Pero noté que ninguno de los que iban por aquí miraba atrás, sino todos adelante. Decir que puede ir alguno a caballo es cosa de risa. Uno de los que allí estaban, preguntándole si podría yo caminar aquel desierto a caballo, me dijo:

-San Pablo le dejó para dar el primer paso a esta senda.

Y miré, con todo eso, y no vi huella de bestia ninguna. Y es cosa de admirar que no había señal de rueda de coche ni memoria apenas de que hubiese nadie caminado por allí jamás. Pregunté, espantado desto, a un mendigo que estaba descansando y tomando aliento, si acaso había ventas en aquel camino o mesones en los paraderos.

Respondióme:

¿Venta aquí, señor, ni mesón? ¿Cómo queréis que le haya en este camino, si es el de la virtud? En el camino de la vida -dijo- el partir es nacer, el vivir es caminar, la venta es el mundo, y en saliendo della, es una jornada sola y breve desde él a la pena o a la gloria.

Diciendo esto se levantó y dijo:

-¡Quedaos con Dios!; que en el camino de la virtud es perder tiempo el pararse uno y peligroso responder a quien pregunta por curiosidad y no por provecho.

Source : Francisco de Quevedo, Los Sueñoshttps://freeditorial.com/es/books/sueno-del-infierno/readonline [consultée le 14 juin 2024]. Référence exacte de l’extrait : QUEVEDO, Francisco de, Los sueños, « Sueño del infierno », page 170, depuis « PRÓLOGO AL INGRATO… » jusqu’à « por curiosidad y no por provecho », p. 174.

  • Lecture de l’extrait : comment prononcer et justifier la prononciation ?

Voici ce que précise le Rapport du jury de la session 2023 :

« Le texte de Quevedo, daté de 1627, est publié alors que la vélarisation visant à différencier le phonème fricatif palatal du phonème fricatif apico-alvéolaire est désormais attestée. Il convient donc de produire cette vélarisation pour réaliser phonétiquement le graphème « j » et le graphème « g » (+voyelle palatale). La réalisation interdentale du phonème fricatif (pré)-dorso-dental issu de la désaffrication n’a, elle, en revanche, pas encore eu totalement lieu au moment où l’œuvre est publiée. Il n’est donc pas correct de produire un son interdental ([θ]) pour réaliser phonétiquement les graphèmes « z » (+ voyelle centrale ou voyelle vélaire) et « c » (+ voyelle palatale) ; en outre, le phénomène du yeísmo, qui consiste à ne pas opérer la distinction phonétique entre le phonème liquide latéral palatal correspondant au digraphe « ll » et celle du phonème fricatif palatal central correspondant au graphème « y » (+ voyelle) est attesté dès la fin du Moyen Âge, même s’il reste longtemps marginal. Au XVIIe siècle, il est encore considéré comme populaire ; le statut social de Quevedo et la nature même de son texte invitent donc, sur critère diastratique, à maintenir la distinction et à ne pas proposer de lecture yeísta. »

Sarah VOINIER et Cyril MÉRIQUE

Par ailleurs, comme l’observe Cristina Tabernero Sala dans le chapitre “La lengua española del Siglo de Oro en Los sueños de Quevedo”, c’est au cours de cette période que s’achève le processus de distinction phonologique entre la bilabiale occlusive /b/ et la fricative /v/.

Source : Javier Espejo Surós y Carlos Mata Induráin (eds.), Lienzos ficticios, fantasías oníricas. Estudios en torno a «Los sueños» de Quevedo, Pamplona, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 2023. Colección BIADIG (Biblioteca Áurea Digital), 70 / Publicaciones Digitales del GRISO. ISBN: 978-84-8081-755-4. [disponible gratuitement sous format numérique sur le site de l’Université de Navarre]

  • Qu’en est-il au niveau de la graphie ?

À l’époque de Quevedo, les normes graphiques du castillan n’étaient pas établies de manière aussi stricte qu’aujourd’hui. Dans cet extrait, on observe notamment l’adjectif masculin pluriel cudiciosos (cupides). Dans d’autres passages, l’auteur hésite entre cudicia et la forma actuelle codicia pour faire référence à la convoitise et à la cupidité.

Dérivé du latin fabulare, le verbe hablar (parler) a déjà remplacé le F initial de l’étymon, disparu phonétiquement, par un H au niveau graphique.

  • Exercice de phonétique historique

Apprenant la veille pour le lendemain qu’il faut être capable de mener un exercice de linguistique diachronique montrant comment tel mot est passé du latin à l’espagnol, je regrette de ne pas avoir pris de temps de consulter mes cours de L2. Pas de panique ! J’ai trouvé une ressource très intéressante en la matière (émanant de la Xunta de Galice) et j’ai bûché dessus pendant une bonne partie de l’après-midi. 😊

Remontons donc, pour commencer, l’étymologie du mot infierno (enfer), qui apparaît non seulement dans l’extrait à analyser, mais aussi maintes fois dans l’ouvrage. L’étymon latin est l’adjectif īnfernus, a, um, qui signifie « d’en bas, d’une région inférieure » ou « des enfers, infernal » (source : Gaffiot). Cette entrée nous renvoie à īnfernī, ōrum, m., à savoir « le séjour des dieux », qui est le pluriel d’un substantif de la deuxième déclinaison propre au latin d’Église : « īnfernus, ī, m., l’enfer » (source : Gaffiot). Le substantif espagnol infierno dérive de l’accusatif īnfernum de ce dernier. Dans ce cas comme systématiquement, le -m final disparaît. En espagnol, l’accent tonique tombe sur l’avant-dernière syllabe, puisque le mot, devenu infernu-, se termine par une voyelle. Or, le E tonique du latin diphtongue en IE, tandis que la position finale de la voyelle -u non accentuée s’ouvre en /o/. Cela nous donne bien le substantif infierno.

Essayons avec un autre exemple, à savoir le substantif diablo, qui vient du latin tardif « dĭăbŏlus, ī, m. ([du grec] διάϐολος), le diable, l’esprit de mensonge » (RAE et Gaffiot). Il s’agit également d’un étymon issu de la deuxième déclinaison des noms masculins, dont l’accusatif singulier est donc dĭăbŏlum. De la même manière, le -m final disparaît et le -u atone qui se retrouve donc en position finale s’ouvre en /o/. À l’exception du A, les voyelles post-tonique ont tendance à disparaître, à l’instar du I de nobilem qui devient noble ou du U de tabulam qui évolue en tabla. Ici, cela s’applique au phonème post-tonique /o/. *diábolo devient diablo.

Prenons enfin de verbe nacer (naître), qui apparaît à la troisième personne du pluriel à l’imparfait de l’indicatif : nacían. En latin, « ils/elles naissaient » se dit nascebantur (du verbe déponent nascor, nascĕris, natus sum, nata sum, natum sum…, – , nasci). Bon, ça paraît tordu… Je vais essayer avec un autre mot. 😉

Derecha (droite) vient de « dīrēctus (dērēctus), a, um, part. de dirigo pris adjt, […] qui est en ligne droite ». On part de l’accusatif féminin dīrēctam, où le -m final est élidé. Le /i/ long de la syllabe initiale devrait se maintenir, mais semble s’ouvrir en /e/. En fait, il ne s’agit pas d’une aperture, puisque dērēcta(m) est une variante de dīrēcta(m) en latin. Le groupe consonantique CT se palatalise en /tʃ/ sous l’influence d’un yod. Le /k/ se vocalise en dans un premier temps en Y, empêchant la diphtongaison du E tonique en IE. Le groupe /kt/ évoluera donc en /Yt/ avant de se palataliser en /tʃ/. À l’instar de noctem qui devient noche, dērēctam se transforme au fil du temps en derecha.

  • Exposé de la morphosyntaxe

Chez Quevedo, les laísmos, leísmos et loísmos sont assez fréquents. Dans cet extrait, nous ne repérons qu’un cas de leísmo, dans la réplique suivante : “¿Venta aquí, señor, ni mesón? ¿Cómo queréis que le haya en este camino, si es el de la virtud?” Ici, le pronom personnel le est inapproprié, puisqu’il ne remplit pas une fonction de COD, mais de COI renvoyant à venta et à mesón. Collectivement, ces deux substantifs donnent lieu à un masculin pluriel, donc le pronom COD devrait être los.

À ce stade de l’évolution de la langue, on note des cas d’enclise à la suite de verbes conjugués à la première personne du singulier au passé simple : Halléme. Cet usage n’est plus en vigueur en espagnol contemporain.

On note aussi quelques cas de construction partitive, avec le possessif contractant la préposition de avec un pronom personnel (dél), ou une contraction du même type avec le démonstratif neutre esto, ce qui donne desto. Cela est typique de l’espagnol archaïque et existe encore en portugais.

  • Rubrique de sémantique et pragmatique

La sémantique est la branche de la linguistique qui étudie la question du sens. La pragmatique est un autre champ des sciences du langage, assez récent. Si vous voulez en savoir plus, vous auriez pu lire il y a encore quelques mois un article de Jacques Moeschler qui n’est plus en ligne. À titre personnel, j’ai eu des cours de pragmatique à la fac il y a un certain nombre d’années. Je n’y comprenais absolument rien, les autres étudiants non plus, et le prof sans doute pas beaucoup plus que nous. À l’heure où je publie cet article, nous sommes à moins de 13 heures du moment où je recevrai mon sujet. J’ai donc autre chose à faire que de me casser la tête sur cette discipline ésotérique (dont dormir une nuit à peu près complète). Ainsi, je vais me concentrer sur la sémantique.

Quelques mois plus tard, je mets à jour cet article alors que je prépare un autre concours où la maîtrise de notions linguistiques est importante. Dans ce contexte, je viens de regarder une vidéo qui explique clairement cette discipline complexe. Si vous souhaitez approfondir ce sujet, n’hésitez pas à la visionner :

À ce titre, je relève surtout le subjonctif futur dans te agradare el discurso, qui fait référence à une éventualité dans le futur. En effet, s’il lit le prologue, le lecteur n’a pas encore commencé le Rêve de l’Enfer. Il le lira éventuellement dans le futur et le fait qu’il lui plaise relève d’une éventualité encore plus faible. Le futur du subjonctif n’est quasiment plus utilisé en espagnol, sauf dans certains documents juridiques.

  • Traduction

PROLOGUE À L’ATTENTION DU LECTEUR INGRAT ET INCONNU

Tu es si pervers que je ne t’ai même pas flatté en t’appelant « pieux », « bienveillant » ou encore « attentionné » dans les autres discours afin que tu ne me persécutes guère ; et, après t’avoir désillusionné, je veux converser avec toi en toute franchise. Ce discours est celui de l’enfer ; ne me traite pas de médisant parce que je parle mal de ceux qui s’y trouvent. En effet, il est impossible qu’il y ait là-bas quelqu’un de bon. S’il te semble long, il est dans ta main : prends l’enfer qui te suffit et tais-toi. Et, si quelque chose ne te semble pas bien, puisse le pieux passer outre et puisse le sage le changer, car errer est le propre de l’homme tandis qu’être ferré est le propre des bêtes et des esclaves. Si c’est sombre, l’enfer n’a jamais été clair ; si c’est triste et mélancolique, je n’ai pas promis de rires. Je te demande seulement, lecteur, et je te conjure même par tous les prologues, de ne pas me prêter de fausses intentions et de ne pas offenser par ta malice mon bon zèle. Car, premièrement, je respecte les honneurs dus aux personnes et je ne réprimande que sur les vices ; je médis contre les négligences et les excès de certains professionnels sans toucher à la pureté de leur métier ; enfin, si ce discours ne te plaît point, tu t’arrêteras [de lire] et, si tu ne le fais point, peu importe, car moi, je n’obtiens rien ni de toi ni de lui. Dieu te garde.

DISCOURS

Moi, dans le Rêve du Jugement, je vis tant de choses et, dans L’huissier possédé, j’entendis une partie de celles que je n’avais pas vues. Je sais bien que les rêves sont le plus souvent une tromperie de l’imagination et un loisir de l’âme, et que le diable n’a jamais dit la vérité, car il ne connaît pas avec certitude les choses que Dieu nous cache de manière juste. Néanmoins, je vis, guidé par mon ange gardien, ce qui suit, par la providence particulière de Dieu ; cet esprit vint pour m’apporter, dans la peur, la paix authentique. Je me trouvai en un lieu favorisé de nature par l’aimable quiétude, où, sans malice, la beauté divertissait la vue (un ressourcement bucolique muet) et où, sans réponse humaine, les sources conversaient parmi les galets, de même que les arbres à travers leurs feuilles. Peut-être l’oiseau chantait-il ; je ne sais pas précisément s’il le faisait de lui-même ou en remerciement [à ces éléments minéraux et végétaux] pour leur harmonie. Voyez à quel point notre désir est en pèlerinage, qui n’a trouvé la paix en rien de cela. Je levai les yeux, envieux de voir un quelconque chemin sur lequel chercher de la compagnie et je vois, chose digne d’étonnement, deux sentiers qui naissaient à même endroit, et l’un s’éloignait de l’autre, comme s’ils se fuyaient mutuellement. Celui de droite était si étroit qu’il n’admet aucun renchérissement et était, du fait du peu de gens qui l’empruntaient, plein de buissons d’épines, d’irrégularités sur le sol à fouler et de mauvaises stations. Malgré tout, je vis quelques voyageurs qui s’évertuaient à le suivre, mais, comme ils marchaient pieds nus et dénudés, ils perdaient en cours de route la peau pour certains, les bras pour d’autres, ou la tête, ou encore les pieds, et tous étaient jaunes et maigres. Néanmoins, je remarquai qu’aucun de ceux qui avaient emprunté ce chemin ne regardait en arrière ; au contraire, tous allaient de l’avant. Dire qu’on puisse y voyager à cheval est risible. Je demandai à l’un de ceux qui s’y trouvaient si je pouvais traverser ce désert à cheval. Il me répondit : – Saint Paul a laissé le sien pour [pouvoir] faire le premier pas sur ce sentier. Et je regardai, avec tout cela, et ne vis aucune la trace de pas d’aucune bête. Et ce fut chose étonnante qu’il n’y eût aucune marque de roue de voiture [hippomobile], ni à peine de signes attestant qu’il y n’eût jamais quelqu’un qui marchât par-là. Effrayé par ceci, je demandai à un mendiant qui était en train de se reposer et de reprendre haleine s’il y avait, par hasard, des tavernes sur ce chemin ou des auberges dans les lieux d’étape.

Il me répondit :

– Une taverne ici, monsieur, ou même une auberge ? Comment pourrait-il y avoir de cela sur ce chemin ? Vous voyez bien c’est celui de la vertu ! Sur le chemin de la vie, [me] dit-il, le point de départ est la naissance, vivre revient à cheminer, l’auberge est le monde et, lorsqu’on la quitte, il n’y a qu’un seul jour de marche bien bref entre le monde et le châtiment ou la gloire.

Sur ces mots, il se leva et dit :

– Dieu vous garde ! En effet, sur le chemin de la vertu, c’est perdre son temps que de s’arrêter et il est dangereux de répondre à qui interroge par curiosité et non en vue du salut de son âme.

Source : Francisco de Quevedo, Los Sueñoshttps://freeditorial.com/es/books/sueno-del-infierno/readonline [consultée le 14  juin 2024]

Voilà pour l’aperçu d’une épreuve de linguistique à l’agrégation externe d’espagnol. C’est en tout cas la production d’un candidat parmi d’autres et je n’ai aucune assurance de la note que le jury attribuerait à ce contenu. Si, après la lecture de la dernière section, vous cherchez un traducteur ou une traductrice compétent(e) pour traduire une œuvre du Siècle d’or, le mode d’emploi d’une machine à café ou un document médical sur les bienfaits du sommeil, cliquez sur ce lien ! 😉

Jean O’Creisren


Vous aussi, vous aimez les langues ?

Vous aimerez :

Don des langues : le point de vue d’un linguiste sur la Pentecôte

Voyage en Castille

Faut-il enseigner les gros mots aux étrangers ?

Quand on parle du loup…

Dialogue absurde pour progresser dans une langue

Les phrases les plus bizarres de Duolingo

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

Mariologie de comptoir

Comment disait-on, dans la Grèce antique… ?

Nous parlons tous arabe sans le savoir…

L’argot des cathos

Traductions bizarres sur le chemin de Compostelle

Nous parlons tous breton sans le savoir…

« Huit » et « nuit » : pourquoi ces mots se ressemblent-ils dans un certain nombre de langues ?

L’intérêt géostratégique du détroit de Magellan aux XVIe et XVIIe siècles

Parlez-vous angevin ?

Visite de la maison-musée de Lope de Vega

The Backwoods of Canada, un hommage littéraire au pays de l’érable

The weirdest sentences in Duolingo

Vous n’auriez jamais deviné que ces mots sont du breton…

Voyage en Aragon et en Catalogne

L’ingérence et la corruption dans l’histoire politique de l’isthme de Panama (1501-1941)

Entre l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, l’isthme de Panama est un territoire à l’histoire passionnante. Depuis sa découverte par les Espagnols au début du XVIe siècle, cette fine bande de terre interocéanique a toujours été convoitée tant pour sa position stratégique que pour ses richesses. Il n’est donc pas étonnant que son histoire politique soit jalonnée d’épisodes d’ingérence et minée par la corruption… À l’heure où la République du Panama élit son nouveau président et doit relever des défis de taille, intéressons-nous à son passé captivant ! 😀

Au Panama se trouve la plus grande mine de cuivre d’Amérique centrale, qui génère près de 4 % du PIB et 65 % des recettes des exportations. Elle est exploitée par le consortium canadien First Quantum Minerals. Le 20 octobre 2023, le contrat entre celle-ci et l’État panaméen a été adopté pour 20 ans renouvelables. Des manifestations ont commencé à partir de cette date. Des associations écologistes, des corps de métiers, des syndicats, des groupes amérindiens et des étudiants, entre autres, ont exigé l’annulation de cet accord. Ils ont dénoncé la corruption y ont voulu protéger les ressources naturelles. Ils ont également considéré que cette mesure ne respecte pas la souveraineté nationale, estimant que l’exploitation de cette mine est un vol envers le peuple panaméen. Afin de mieux comprendre les racines de ce conflit, nous pouvons nous pencher sur l’histoire de l’Isthme

Avant d’approfondir ce sujet, il convient de définir les concepts clés. D’après le Larousse (version numérique disponible sur ce lien), l’ingérence est, entre autres, l’« intervention d’un État dans la politique intérieure d’un autre État. » Dans cet article, nous nous baserons sur la définition retenue par le droit international, à savoir le fait qu’un État ou une organisation internationale intervienne dans la politique intérieure d’un État souverain sans l’accord de ce dernier (vous trouverez une définition plus complète de ce concept sur le site Internet de l’ENS de Lyon). Nous pouvons considérer comme la personnalité morale d’un État souverain soit la majorité de ses citoyens soit ses dirigeants, en principe élus démocratiquement par le peuple. Concernant la corruption, le Dictionnaire de l’Académie française définit, entre autres, ce concept emprunté du latin classique corruptio (« altération », « séduction ») de la manière suivante : « Le fait de détourner une personne de son devoir, de la soudoyer, de la suborner. User de corruption pour parvenir à ses fins. Recourir sans scrupule à la corruption. DROIT. Corruption active de fonctionnaire, délit consistant à solliciter d’un fonctionnaire un acte contraire à son devoir, en faisant appel à ses intérêts propres. Corruption électorale, pratique consistant à acheter les suffrages lors d’une consultation électorale. La corruption électorale est punie de la privation des droits civiques. Corruption passive, le fait de se laisser détourner de son devoir par de l’argent ou tout autre moyen de subornation. Le trésorier de cette association a été soupçonné de corruption passive. »

Compte tenu des éléments ci-avant, nous pouvons nous demander : Quels rôles jouèrent l’ingérence, d’autres types d’influence étrangère légitime et illégitime, ainsi que la corruption et les autres formes de manipulation de la part d’acteurs extérieurs, dans l’histoire politique de l’Isthme de Panama depuis l’ère coloniale jusqu’au milieu du XXe siècle ?

Pour répondre à cette question, nous suivrons le cours de l’histoire de cette région, en commençant par la phase qui s’étend de la conquête espagnole au projet de canal français (1501-1868). Nous nous intéresserons ensuite au rôle de l’influence étrangère dans la construction du canal et l’indépendance du Panama (1879-1914). Pour finir, nous terminerons notre étude chronologique en considérant ce qui se produisit entre la fin des travaux du canal de Panama et la Seconde Guerre mondiale (1914-1941).

  1. De la conquête espagnole au projet de canal français (1501-1868)

Entre deux océans et deux sous-continents, l’isthme de Panama est situé dans un lieu stratégique et naturellement ouvert à l’influence de plusieurs peuples. Nous verrons que cela est déjà documenté bien avant avant le projet de canal interocéanique.

D’après ce que savent les historiens, nous pouvons affirmer avec certitude que le début de l’ingérence sur le territoire de l’isthme de Panama remonte à 1501, quand les Européens mirent pour la première fois le pied sur cette terre. Christophe Colomb visita lui-même ces contrées lors de son quatrième voyage en 1502 et écrit au roi Ferdinand le Catholique qu’il s’agissait des terres les plus fertiles du monde. Ce fut alors que les Espagnols s’y installèrent ; ils y furent immédiatement harcelés par les autochtones. Vasco Núñez de Balboa leur imposa son autorité et se lia d’amitié avec quelques puissants chefs tribaux. Ces derniers lui révélèrent l’existence d’une autre mer, au bord de laquelle prospéraient des royaumes très riches en or. En 1513, l’expédition dirigée par le conquistador atteignit l’océan Pacifique, où les Amérindiens lui confirmèrent l’existence d’un grand empire au midi, c’est-à-dire l’Empire inca. Ainsi, la ville de Panamá la Vieja fut construite, servant de base pour conquérir l’Amérique du Sud.

Pendant l’époque coloniale, les Espagnols durent faire face à l’ingérence d’autres puissances européennes ainsi qu’aux pirates des Caraïbes. En effet, Portobelo était la ville dans laquelle étaient entreposés les trésors provenant des colonies méridionales. Le célèbre corsaire Francis Drake essaya de prendre la région pour y établir une base anglaise dans les Caraïbes et mettre en échec l’empire colonial espagnol. Il fut vaincu et mourut en 1596 face à Portobelo. Cette ville fut également attaquée par le pirate Morgan, qui incendia ensuite Panamá la Vieja, dont il ne reste aujourd’hui que des décombres. En 1663, la ville actuelle fut établie sur un lieu plus facilement défendable. Plus tard, des Écossais fondèrent des colonies dans le Darién, avec l’intention de relier par un chemin les deux océans. Après des conflits avec les Espagnols, la paix fut signée en 1700, puis les Britanniques abandonnèrent ce projet. Le XVIIIe siècle marqua le début du déclin de l’empire colonial espagnol en Amérique. À cette époque, la zone de l’isthme dut faire face aux attaques constantes des pirates des Caraïbes, ainsi qu’aux conflits contre les Amérindiens du Nicaragua et du Darién, qui détruisirent de nombreux villages. En 1746, les Anglais portèrent le coup de grâce à Portobelo. Les Espagnols arrêtèrent donc d’y entreposer des richesses. Les familles aisées avaient déjà commencé à déserter la bande de terre, qui commença à péricliter.

Par conséquent, le Panama commença le XIXe siècle sous l’aspect d’une petite province oubliée d’un empire en pleine décadence. Les révolutions américaine et française constituèrent d’autres influences étrangères, qui diffusèrent des idées indépendantistes sur le continent. Profitant de l’affaiblissement de couronne espagnole du fait de l’invasion napoléonienne, Simón Bolívar prit la tête de la révolte dans la zone qui englobait notamment le territoire qui nous intéresse. Il vainquit les armées royales lors de la bataille décisive de Boyacá (actuelle Colombie) le 7 août 1819. L’isthme de Panama quitta donc la domination de la métropole pour être rattaché au nouvel État de Grande Colombie. Autour de l’an 1835, les États-Unis manifestèrent pour la première fois un certain intérêt pour cette région. En effet, ils avaient déjà acheté la Louisiane aux Français, s’ouvrant ainsi un accès à la mer des Caraïbes. Le territoire de l’Isthme est une bande de terre très fine, qui permet de passer facilement d’un océan à l’autre. Or, en 1848, commença ce qu’on appelle la « ruée vers l’or ». Des mines étaient exploitées en Californie et le Panama était la route la plus sûre pour que les minerais fussent transportés jusqu’à la côte orientale des États-Unis. En effet, le Middle West était marqué par les conflits avec les Indiens ; ces peuples massacrés et affamés volontairement par les étasuniens ne perdaient aucune occasion de prendre en embuscade les diligences et les trains chargés de marchandises et de matières premières de valeur. De ce fait, l’or transitait par le Panama. Les navires étaient déchargés sur la côte Pacifique, puis la cargaison était transportée en canoë le long du fleuve Chagres. Enfin, elle était acheminée à dos d’âne jusqu’à la mer des Caraïbes. Le président américain Andrew Jackson (1829-1837) avait déjà en tête l’idée d’un canal interocéanique. Dans les années 1850, un traité fut signé entre les États-Unis et la Colombie afin d’utiliser l’isthme en tant que route commerciale. En 1855 fut inaugurée la ligne ferroviaire qui marqua la fondation de la compagnie des chemins de fer du Panama. La ville de Colón fut construite à cette époque, en tant que terminal de cette liaison sur la côte atlantique, mais aussi afin d’assumer la fonction de port pour des grands navires à vapeur. Après l’inauguration de cette ligne, l’isthme était constamment traversé par des milliers de personnes.

En somme, bien avant le projet français de canal interocéanique, le Panama était considéré par tous comme une zone stratégique et riche en ressources. C’est pour cela que toutes les puissances militaires et économiques de la région convoitaient cette bande de terre. Entre le XVIe et le milieu du XIXe siècle, les uns et les autres essayaient de la conquérir par les armes. Nous verrons qu’à l’époque contemporaine, d’autres moyens furent utilisés pour s’approprier ce lieu désiré par tant de monde…

Quelle est l’histoire de la construction du canal de Panama ?

II. La construction du canal et l’indépendance du Panama (1869-1914)

Le grand tournant dans l’histoire de l’isthme fut indubitablement la construction du canal, qui conduisit à l’indépendance de la République du Panama. Quel fut le rôle de certaines puissances étrangères dans le déroulement de ces événements ? Quelles armes utilisèrent-elles pour que tout se produisît selon leur volonté dans cette bande de terre si convoitée ?

En 1869, le commandant étasunien Thomas Oliver Selfridge dirigea une expédition à travers l’isthme afin de vérifier la faisabilité d’un canal interocéanique à cet endroit. Presque tous ses hommes moururent d’une fièvre mystérieuse. Par conséquent, les États-Unis apportèrent leur soutien à un autre projet, au Nicaragua. De son côté, le célèbre diplomate français Ferdinand de Lesseps envoya sur les mêmes lieux l’ingénieur Lucien Napoléon Bonaparte-Wyse, qui ambitionnait de marquer l’histoire, comme con grand-oncle Napoléon Ier. De façon similaire, les hommes tombèrent les uns après les autres. L’explorateur avança donc à marche forcée pour atteindre la côte pacifique avant d’être touché par la fièvre en question. Après y être parvenu, il prépara rapidement un contrat avec le gouvernement colombien afin de construire un canal à travers l’isthme. Le comte de Lesseps soutint ce projet, cachant la réalité tragique de l’expédition de Wyse. En mai 1879, une réunion fut convoquée, rassemblant les meilleurs ingénieurs du monde, afin qu’ils décidassent quel projet choisir entre les deux canaux, à savoir le nicaraguayen et le panaméen. Thomas Oliver Selfridge et Ferninand de Lesseps se faisaient face. Ce dernier sut vendre du rêve et proposa un canal à niveau, comme il l’avait fait avec prestige à Suez. Il ne parla pas de la mystérieuse fièvre et partait gagnant car la plupart de des votants étaient français. Son projet fut approuvé avec une très faible majorité. Le gouvernement français ne lui apporta pas son soutien. La société chargée de la construction du canal chercha des fonds privés, acheta la presse et attira des actionnaires en diffusant l’idée que le Panamá était synonyme de « progrès ». En 1881, les travaux commencèrent sous la direction d’Henri Bionne. Des milliers d’ouvriers arrivèrent sur les lieux, originaires pour la plupart de Jamaïque ou de la Nouvelle-Orléans. Finalement, la fièvre jaune et le paludisme tuèrent des milliers d’ouvriers et d’ingénieurs. En 1882, un tremblement de terre causa la mort de plusieurs travailleurs et détruisit de nombreuses infrastructures. Les travaux n’avançaient pas aussi vite que prévu et les ouvriers, qui voyaient mourir leurs camarades, étaient démoralisés. En France, l’opinion publique et les actionnaires commencèrent à perdre confiance. Après la mort de Bionne et le départ de Jules Dingler, qui avait perdu toute sa famille à cause de la fièvre jaune, Lesseps nomma Philippe Bunau-Varilla à la tête du chantier. À la suite d’un cyclone aux conséquences tragiques (50 employés y trouvèrent la mort et la société y enregistra de nombreux dommages matériels), le jeune ingénieur en chef déclara au comte qu’il fallait abandonner l’idée d’un canal à niveau pour en réaliser un fonctionnant à l’aide d’écluses. Lesseps convoqua plusieurs ingénieurs (dont Gustave Eiffel) afin de concevoir ce nouveau projet, mais il était déjà trop tard. Las actions de la société chutèrent sans cesse et, après une tentative de financement au moyen d’une loterie frauduleuse, la faillite se produisit sans attendre. Beaucoup d’investisseurs, dont un grand nombre étaient de condition modeste, perdirent tout leur avoir, ce qui provoqua une crise économique en France. Ferdinand et Charles de Lesseps y furent jugés pour malversation. Il fut prouvé que des législateurs avaient reçu des pots-de-vin pour que le parlement autorisât la loterie. La France avait tenté d’influer sur l’histoire de l’Isthme à l’aide de nouvelles armes, à savoir l’argent et la corruption. Cela devait se solder par un échec aux conséquences dramatiques. Toutefois, le projet allait se poursuivre à travers une autre puissance étrangère qui sut utiliser à sa manière des ressources financières et stratégiques.

En 1889, la faillite de la société française ruina de nombreux Français, mais l’un d’entre eux voulut récupérer sa mise : le dernier ingénieur en chef du projet, Philippe Bunau-Varilla. Ce dernier se mit en relation avec Theodore Roosevelt, élu président des États-Unis en 1901, qui voulait transformer son pays en une puissance mondiale et avait pour projet de contrôler les deux océans. Le Sénat étasunien soutenait l’idée d’un canal interocéanique passant par le Nicaragua, mais le président apprit que la société française en liquidation voulait céder pour 40 millions de dollars (soit environ 1 000 000 000 $ en valeur actuelle), 12 000 hectares de propriété foncière, le chemin de fer, du patrimoine immobilier (hôpitaux, bureaux et logements pour les salariés), ainsi qu’une immense quantité de machines (pelleteuses, grues, locomotives, wagons, etc.). Bunau-Varilla essaya de corrompre un membre clé du Sénat, chef de file des soutiens au canal nicaraguayen, mais sans succès. Quelques jours avant le vote, une éruption explosive dévasta la Martinique. En ce triste jour de 1902, le Mont Pelée fit disparaître environ 30 000 personnes et la panique des volcans s’étendit à toute la région. Le Français profita de cet événement tragique pour envoyer à chaque sénateur une lettre avec un timbre du Nicaragua, sur lequel apparaissait l’image d’un volcan. Dans ces missives, il expliqua qu’un ne pouvait pas construire un canal dans des lieux foisonnant de volcans. Par conséquent, le Sénat des États-Unis d’Amérique approuva, avec une très faible majorité, l’achat du chantier au Panama. Néanmoins, pour pouvoir opérer à cet endroit, il fallait bénéficier de l’accord de Bogotá. John Hay, qui était à cette époque secrétaire d’État de la puissance montante du continent américain, commença à dialoguer avec le gouvernement colombien, qui devait alors faire face à la guerre des Mille Jours. Le conflit entre conservateurs et libéraux s’avéra particulièrement violent au sein de l’isthme. Pour Roosevelt, il était impossible de commencer les travaux sans sécuriser la zone au préalable. Il y envoya donc des troupes. Ce débarquement, effectué sans avoir demandé au préalable l’autorisation du gouvernement conservateur, fut considérée comme une ingérence. De ce fait, la situation se tendit énormément entre les deux pays. Après le retrait des troupes américaines, la Colombie refusait toute négociation.

L’isthme de Panama était toujours une province très isolée du reste de la Colombie. À l’extrémité orientale de cette zone, la région appelée « le bouchon du Darién » est une forêt tropicale épaisse et dangereuse qui a toujours empêché le passage à pied de l’Amérique centrale à l’Amérique du Sud. À cette époque, la seule manière de se déplacer du territoire de l’actuel Panama à Bogotá était un trajet en bateau jusqu’à Cartagena, puis un voyage à dos de mule jusqu’à la capitale. Ce périple durait deux semaines. Au sein de l’isthme, beaucoup de personnes souffraient de la pauvreté et de la faim, manquant également de médicaments. Le projet de canal constituait une aubaine pour que la région sortît la tête de l’eau. Après la faillite de la compagnie française, le traité Herrán-Hay incarnait un nouvel espoir. Ce dernier s’évanouit quand le Sénat colombien s’opposa à ce texte juridique, qui avantageait beaucoup la puissance étrangère qui venait de faire preuve d’ingérence sur son territoire national. Il octroyait aux États-Unis des droits souverains pendant 100 ans sur une bande de terre de 6 milles à travers l’isthme. Par conséquent, le traité fut rejeté avec une large majorité. Dans la province reculée, cette nouvelle déception était inacceptable. Le médecin Manuel Amador Guerrero, que travaillait à l’hôpital du chemin de fer, voulut offrir un meilleur accès à la santé à la population locale. Il s’associa à José Agustín Arango, un avocat de la même compagnie fondée par les États-Unis. En collaboration avec d’autres cadres, ils organisèrent dans la clandestinité un mouvement révolutionnaire visant l’indépendance de l’isthme de Panama. Pour parvenir à leurs fins, ils avaient besoin du soutien de Washington, en contrepartie d’un permis de construire pour le canal interocéanique. En octobre 1903, le Dr Amador Guerrero partit aux États-Unis, où il prit contact avec le seul homme qui à la fois connaissait le Panama et pouvait lui ouvrir les portes de la Maison Blanche : Philippe Bunau-Varilla. Ils se réunirent pendant 15 jours dans la chambre 1162 de l’hôtel Waldorf Astoria. En bonne posture pour négocier, le Français imposa beaucoup de conditions au Panaméen. Entre autres, il exigea d’être nommé ambassadeur plénipotentiaire du Panama une fois l’indépendance proclamée. L’ingénieur français avait les contacts à Washington et parlait anglais, ce que peu de Panaméens pouvaient faire à cette époque. Le médecin n’eut pas d’autre choix que d’accepter et retourna vers l’isthme avec le soutien de la puissance américaine, mais aussi une liste de conditions, dont beaucoup furent rejetées par les autres cadres du mouvement. Le 2 novembre, un cuirassé étasunien se présenta face à la côte de Colón en même temps qu’un navire de guerre colombien venu écraser la rébellion. María Ossa de Amador, l’épouse de Manuel Amador Guerrero, imagina un stratagème pour séquestrer les officiers des troupes colombiennes. Les 500 hommes restèrent donc sous le commandement du colonel Torres et sans protection entre les insurgés et les marins américains. Les cadres du mouvement séparatiste corrompirent le colonel avec une quantité d’or d’une valeur de 8 000 $. Torres accepta leur proposition et la révolution triompha sans qu’une seule goutte de sang ne fût versée. Après la lutte sanglante entre libéraux et conservateurs, Arango et Amador Guerrero avaient conclu des alliances avec les figures importantes des deux camps sur le territoire de l’Isthme. Le drapeau du Panama symbolise cette union à travers les couleurs bleue et rouge, associées au blanc, qui représente la paix. Les jours suivants, plusieurs navires de guerre étasuniens arrivèrent sur les côtes de l’isthme afin d’en garantir l’indépendance et la sécurité. Bunau-Varilla, à qui était donc réservé le poste d’ambassadeur plénipotentiaire du Panama auprès des États-Unis, méprisa les directives du nouveau gouvernement panaméen et négocia avec Hay, avant l’arrivée des délégués, un traité qui n’était pas à l’avantage de la jeune république. Entre autres, il céda une zone de 10 milles de large sur laquelle Washington disposerait de droits souverains. L’ingénieur français leur accorda ces avantages de manière perpétuelle au nom du peuple panaméen. Furieuse, la délégation envoyée par le gouvernement panaméen exigea un amendement de la convention, mais Bunau-Varilla leur mentit, prétendant que Roosevelt était disposé à abandonner la jeune république ainsi qu’à négocier directement avec la Colombie. Par conséquent, le gouvernement provisoire finit par remettre ledit traité dûment ratifié au consul des États-Unis, si bien que les travaux purent commencer.

La priorité du projet de canal mené par Washington était d’empêcher une nouvelle hécatombe. L’excellent ingénieur John Frank Stevens fut nommé à la tête du chantier. Il fit confiance au Dr William Crawford Gorgas, qui avait compris que les vecteurs de la fièvre jaune et de la malaria étaient les moustiques. Une grande campagne de fumigation fut donc mise en œuvre afin de tuer les insectes. L’on plaça des moustiquaires dans les maisons, les rues des villes de Panama et de Colón furent pavées, l’on canalisa toutes les eaux et les deux premières stations de potabilisation furent construites. Toutes ces mesures donnèrent lieu à une efficacité inattendue. Les travaux purent se poursuivre et s’achevèrent en 1914. Du fait de la Première Guerre mondiale, le canal fut inauguré plus tard, en 1920.

En définitive, la construction du canal et l’indépendance de la jeune république se concrétisèrent à travers l’intervention de puissances étrangères qui n’hésitèrent pas à manipuler, à mentir et à corrompre pour que ces projets débouchassent sur un résultat à leur avantage. Bien que la population panaméenne ne parvînt pas à obtenir une juste rétribution, les Français et les Américains leur offrirent des infrastructures et des conditions sanitaires qui améliorèrent un peu leur situation.

Photo de Michael D. Camphin sur Pexels.com

III. De la fin des travaux pour la construction du canal à la Seconde Guerre mondiale (1914-1941)

Toutefois, avec les dispositions prévues au titre du Traité Hay-Bunau-Varilla, l’isthme de Panama ne pouvait pas sortir de la pauvreté. Voyons comment, du début au milieu du XXe siècle, l’histoire politique du nouvel État souverain resta un conflit d’intérêts, entre négociations, ingérence, usage de la force, corruption et coups d’État.

La constitution de la jeune République du Panama permettait aux États-Unis d’intervenir militairement sur son territoire national. Cet article fut ratifié à la suite de débats entre conservateurs et libéraux afin de garantir la sécurité intérieure du pays. En effet, son application permit d’empêcher une tentative de coup d’État au début du siècle. Après la fin des travaux du canal en 1914, des altercations se produisirent entre des soldats américains et certains éléments des forces de l’ordre panaméennes. Le gouvernement des États-Unis demanda donc au président libéral Belisario Porras Barahona de désarmer la police. Porras protesta, mais Washington l’obligea à prendre cette mesure humiliante. En 1916, le président Valdés fut élu. Il mourut en 1918. Son premier adjoint, le Dr Ciro Luis Urriola Garrés, se vit confier le pouvoir et reporta plusieurs fois les élections. Toute la classe politique protesta et les soldats américains le déposèrent. En 1921, l’armée costaricienne envahit la République du Panama à cause d’un différend territorial concernant une région frontalière revendiquée par les deux pays depuis le XIXe siècle. Lors de la guerre dite du Coto, les Panaméens étaient convaincus de pouvoir compter sur le soutien des États-Unis, qui s’étaient engagés à défendre leur intégrité territoriale. Pourtant, non seulement ils ne les aidèrent pas, mais ils leur demandèrent de se soumettre à la décision de la Cour Suprême du géant américain, qui donnait raison au Costa Rica. Le président Warren G. Harding envoya même une flotte de guerre au Panama afin que cet État retire ses troupes de la zone disputée. Mécontents, les Panaméens voulurent renégocier les contrats du canal, par l’intermédiaire du diplomate Ricardo Joaquín Alfaro. À la suite de l’élection du candidat libéral Rodolfo Chiari en 1924, les Indiens emberá se révoltèrent, incités par un citoyen étasunien. Après de longues négociations, ils finirent par déposer les armes. En octobre 1925, des émeutes se produisirent du fait de l’augmentation des loyers. Le gouvernement panaméen demanda aux États-Unis d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre. Le 28 juillet 1926, Panama signa avec Washington le Traité Alfaro-Kellogg. Un nouveau groupe nationaliste appelé Acción Comunal protesta contre cette convention, considérant qu’elle cédait la souveraineté nationale aux forces armées des États-Unis. Par conséquent, ce nouvel accord ne fut jamais appliqué. En somme, les prérogatives militaires dont disposaient les États-Unis au Panama en vertu de la constitution de cette jeune république leur permit plusieurs fois de garantir l’ordre et la démocratie au sein de l’isthme. Néanmoins, à d’autres moments, ils utilisèrent ces droits d’une manière qui peut être considérée comme une forme d’ingérence.

Comme nous l’avons vu ci-avant, la population de la bande de terre interocéanique prit son indépendance et approuva le projet de canal pour sortir de la pauvreté. En 1928, le nouveau président Florencio Harmodio Arosemena (Parti libéral réformé) présenta un plan de développement ambitieux, mais la dépression économique des années 1930 obligea le gouvernement à modifier presque tous ses projets. Acción Comunal échafaudait des plans pour le renverser. Ce groupe se composait de militants nationalistes et de professionnels mécontents de la direction que prenait la politique nationale.  Au cours de la nuit du 31 décembre 1930 au 1er janvier 1931, Arnulfo Arias, membre de l’organisation et gendre d’un ami intime du président, enivra les soldats de la garde présidentielle, puis attaqua la résidence du chef de l’État. Acción Comunal prit le contrôle de la ville de Panama et l’ambassadeur des États-Unis convainquit Arosemena de démissionner. Ce dernier signa son dernier décret en nommant ministre Harmodio Arias Madrid (frère d’Arnulfo Arias). Les instances compétentes désignèrent Ricardo Joaquín Alfaro comme président jusqu’à la fin du mandat. Cet événement marqua un tournant dans l’histoire politique du Panama, puisque la lutte nationaliste voulait mettre fin à l’ingérence étasunienne, contrôler le canal et éradiquer la pauvreté du territoire de l’isthme. Arias Madrid bénéficia du soutien du gouvernement lors des élections de 1932 et fut élu président. Il renégocia les traités avec son homologue Franklin D. Roosevelt. Voici la traduction d’un paragraphe extrait du journal La Estrella de Panamá et relatif au traité Arias-Roosevelt :

« Dans ce traité, la redevance annuelle était revalorisée et s’élevait désormais à 430 000 balboas. En outre, des mesures furent mises en œuvre pour contrôler la contrebande de biens dans la zone du canal, une activité illégale qui portait préjudice à l’économie panaméenne. Concernant les terres contrôlées par les États-Unis, la convention limitait l’expropriation de biens fonciers, mais ne prévoyait aucune restitution. Enfin, cet accord engageait le Panama en tant qu’allié militaire du géant américain. »

Le mandat d’Harmodio Arias Madrid se poursuivit jusqu’en 1936. Lorsqu’éclata la Seconde Guerre Mondiale, son frère Arnulfo présidait la République du Panama. En tant que nationaliste, le nouveau chef de l’exécutif admirait les régimes de l’Axe et refusa d’aider la marine américaine quand les États-Unis s’engagèrent dans le conflit. Un officier de police nommé Ricardo Adolfo de la Guardia dirigea un coup d’État orchestré par la puissance occidentale montante. Dès lors, la police allait jouer un rôle important au niveau de la politique nationale. Peut-on considérer cette intervention américaine comme un cas d’ingérence légitime du point de vue géopolitique ? Avant de la définir de la sorte, il convient d’interroger la légitimité du gouvernement d’Arias, qui avait accédé à la présidence par la force, étant donné que ses militants avaient poussé Alfaro à la démission par la violence. En octobre 1941, Ricardo Adolfo de la Guardia honora les requêtes des États-Unis et leur permit d’armer des navires marchands. Cela fut un autre exemple de l’influence étrangère (et principalement américaine) dans l’histoire politique du Panama, du commencement à nos jours.

Pour conclure ce que nous pouvons raisonnablement avancer sur cette période historique, les avantages que les textes juridiques octroyaient aux États-Unis en matière d’accès à la politique intérieure de la République du Panama leur permirent d’intervenir par la force à plusieurs reprises, parfois au bénéfice des intérêts du peuple panaméen. Dans d’autres cas, leur action pouvait clairement être qualifiée d’ingérence. Quoi qu’il en fût, la plus grande résistance à laquelle dut faire face la puissance nord-américaine fut le parti nationaliste Acción Comunal, qui s’appuyait sur le mécontentement d’une population peinant à sortir de la pauvreté car elle ne bénéficiait pas des recettes occasionnées par l’exploitation du canal. Grâce aux négociations menées par plusieurs politiciens, la République du Panama parvint à défendre ses intérêts légitimes et obtint la résiliation d’un contrat que John Hay lui-même avait considéré comme inégalitaire en son temps.

Photo de Benjamin Achrainer sur Pexels.com

En définitive, depuis l’époque coloniale, l’isthme de Panama a toujours été une terre convoitée tant pour ses richesses que pour sa position stratégique. C’est pourquoi les Espagnols durent se battre contre les pirates et les Britanniques, puis les Colombiens furent expulsés de la région par les Américains après que les Français eussent échoué dans le premier projet de construction d’un canal interocéanique. Après l’indépendance, les États-Unis n’hésitèrent ni à faire preuve d’ingérence ni à jouer la carte de la corruption pour parvenir à leurs fins, comme l’avaient fait d’autres puissances à d’autres moments de l’histoire. Comme le monde entier transite par cette zone, l’isthme de Panama est depuis longtemps ouvert à l’influence étrangère, ce qui fait partie intégrante de son identité. Ce fait récurrent bénéficie souvent au peuple panaméen. Par conséquent, on ne peut pas le considérer comme une ingérence. Celle-ci existe à certaines occasions pour des raisons stratégiques et du fait d’intérêts économiques, de même que la corruption. Ces deux phénomènes semblent intimement liés à l’histoire de l’Amérique latine en général.

Néanmoins, comme à plusieurs reprises par le passé, le peuple panaméen n’accepte pas la tournure que prennent ces concepts récurrents, qui s’incarnent aujourd’hui dans le projet minier. Les élections présidentielles se tiendront le 5 mai prochain. Le peuple votera-t-il de manière souveraine et libre ou pouvons-nous craindre que l’ingérence d’une puissance étrangère et la corruption d’acteurs de poids, comme certains cartels de narcotrafiquants, influent sur les résultats ?

Jean O’Creisren

Auto-traduction d’un article initialement écrit en espagnol (« La injerencia y la corrupción en la Ha política del Istmo de Panamá ») et publié sur le blog Délires de linguiste le 29 février 2024.

Sources :


Vous aussi, vous aimez refaire le monde ?

Vous aimerez :

Lettre ouverte à François Bayrou

Voyage en Castille, sur les pas des comuneros

Écoconduite radicale

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

Pour une écologie à visage humain

Que dit la Bible sur les questions migratoires ?

Quelle Europe voulons-nous ?

Que peuvent nous apporter les personnes en situation de handicap ?

Pourquoi enseigner l’histoire ?

Limitation à 80 : bonne ou mauvaise idée ?

Nahouaille-Aquart

Brève réflexion sur l’intelligence artificielle…

Révolte des Comunidades : quand la Castille s’insurgeait contre ses élites autoproclamées

Faut-il privatiser les aéroports de Paris ?

L’Union européenne est-elle démocratique ?

1609 : quand l’Espagne a expulsé tous les musulmans qui vivaient sur son territoire

Faut-il légaliser l’euthanasie et le suicide assisté ?

La COMECE envoie un message de soutien au peuple ukrainien et appelle à prier pour la paix

Envie d’acheter des vêtements durables ?

Voyage en Aragon et en Catalogne

Pensées de Laurent Jouet

Des arguments pour évangéliser

Visite de la maison-musée de Lope de Vega

L’intérêt géostratégique du détroit de Magellan aux XVIe et XVIIe siècles

Perles de tentatives d’arnaques

Ah, les arnaqueurs ! Ils vous appellent à longueur de journée, vous invitent sur les réseaux sociaux avec de faux profils, vous envoient des mails frauduleux pour vous draguer ou vous convoquer au commissariat. Si certaines arnaques sont très bien montées, d’autres sont complètement bancales et pas du tout crédibles. Dans cet article, je vous propose quelques captures d’écran faisant état des tentatives d’arnaques les plus ridicules que j’ai reçues. Ces perles valent vraiment le détour… 😉

La première d’entre elles a été rédigée par un champion. Comme toutes les tentatives d’arnaques, ça commence par un « bonjour » impersonnel, ce qui prouve que le message a été envoyé à une longue liste de destinataires. Je ne sais pas si cet homme ne sait pas que « Jean » est un prénom masculin ou s’il pensait que je suis gay. En tout cas, sa tentative est à côté de la plaque car je ne suis pas intéressé par les hommes. Là où il a été encore moins malin, c’est qu’il prétend s’appeler Philippe alors que son adresse e-mail indique clairement qu’il se nomme Abd el-Rahim. Bien que son numéro de téléphone soit français, l’extension .ma indique que c’est une adresse marocaine.

Voici un autre message du même type, cette fois-ci envoyé depuis l’adresse électronique d’un étudiant mexicain. Certaines erreurs de langue et de typographie montrent clairement que la langue maternelle de l’expéditeur est l’espagnol.

Récemment, j’ai aussi reçu ce message. On m’accuse d’évasion fiscale, alors que je déclare très honnêtement tous mes revenus tous les ans et que je sais bien que je suis trop pauvre pour être imposable. Là où c’est encore plus louche, c’est qu’un site gouvernemental français comporte l’extension .br. On parle de délocalisation, mais j’ignorais que le ministère des Finances publiques cherchait à faire des économies au point de ne pas payer l’extension .fr et de délocaliser au Brésil… 😉

De même, j’ai découvert que le fisc français sous-traite des particuliers catalans pour me réclamer un impôt dont je ne suis pas redevable… Comme c’est logique ! 😅

Sur ma page Facebook, j’ai reçu ce message d’un arnaqueur qui a essayé de m’avoir par la peur. Mais pourquoi craindre ces cracs quand on n’a absolument rien à se reprocher ? De même, quand un soi-disant policier ou membre du personnel judiciaire vous convoque pour des faits que vous n’avez pas commis à travers un courriel assorti d’un lien ou d’une pièce jointe, n’ouvrez rien, car c’est un virus ! Si la police doit vous contacter, ce ne sera jamais par e-mail. Et pensez-vous que le « Groupe 2023 Inc. » soit une entreprise qui existe réellement ? 😉

Étant assez actif sur Facebook, j’ai accepté un certain nombre d’invitations pour promouvoir mon blog, mes livres et parler de Jésus. Mais, quand des personnes que je ne connais ni d’Adam ni d’Ève m’abordent et cherchent à obtenir plein d’informations sur moi, je sens rapidement que j’ai affaire à de faux profils à travers lesquels on cherche à m’extorquer de l’argent. Dans ce cas, je reviens à ce pour quoi j’ai accepté cette invitation : promouvoir mon blog, mes livres et parler de Jésus. 😊

Dans un autre genre, on a essayé de m’arnaquer avec un faux profil en suscitant ma pitié, puis en essayant de m’entuber avec l’appât du gain. 🎁 Non mais franchement, depuis quand une personne que vous ne connaissez pas décide vraiment de vous léguer toute sa fortune sur un coup de tête ?

En outre, j’ai reçu un message de l’un de mes contacts qui affiche uniquement une photo de profil représentant une très belle jeune femme et est suivi par 1 300 personnes. Je n’ai pas la preuve qu’il s’agit d’une arnaque, raison pour laquelle j’ai effectué une capture d’écran ne faisant pas apparaître son identité. Néanmoins, j’ai réagi en mode foutage de gueule à sa prise de nouvelles, qui m’a semblé suspecte de prime abord. 😉 S’il s’agit d’un arnaqueur (ce qui est le plus probable), il s’est dit à coup sûr que j’avais flairé son manège et que je ne tomberais pas dans le panneau. S’il s’agit vraiment d’une jolie jeune femme qui drague les inconnus (ce qui m’étonnerait énormément), elle a dû se dire que je suis complètement taré et n’a pas voulu donner suite à l’échange pour se protéger d’un mec bizarre… 😅 Ceci dit, si c’était vraiment le cas, elle m’aurait très certainement bloqué. 😉

Comme ma photo de profil est un drapeau de l’Espagne, un autre arnaqueur avec une photo de profil aguicheuse a voulu lancer une conversation en espagnol. J’en ai donc profité pour lui parler de Jésus dans la langue de Cervantès. Le problème, c’est qu’a priori, mon interlocuteur semble avoir un niveau A0 dans cet idiome. Apparemment, son vocabulaire se limite à hola et l’usage du traducteur automatique semble trop sophistiqué pour lui… 😄

Dans le même genre, cette personne qui prétend être espagnole n’est même pas foutue de mieux orthographier ¡Hola! qu’un francophone qui n’a jamais étudié la langue de Cervantès 😅 :

Pour conclure, nous sommes tous sujets à des tentatives d’arnaques. Celles-ci sont tellement nombreuses que la police est dépassée et ne peut pas poursuivre tous ces cybercriminels. Ayons donc bien conscience de qui sont les personnes auxquelles nous avons affaire. Si nous avons un doute, parlons-en à des proches qui ont du caractère et un certain esprit critique. N’oublions pas que le mal sera vaincu par le bien. Donc, face aux personnes malintentionnées, n’hésitons pas à prendre les choses avec humour ainsi qu’à évangéliser ! 😃

Tonton Jean

PS : face à tout ce qu’il y a de laid dans le monde, la vidéo ci-dessous vous propose un remède infaillible… 😉


Vous aussi, vous aimez rire de tout et de rien ?

Vous aimerez :

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

L’argot des cathos

Blagues espagnoles et latino-américaines

Les jurons distingués

Nous parlons tous breton sans le savoir…

La carte familière

Faut-il enseigner les gros mots aux étrangers ?

Les textos littéraires

Comment disait-on, dans la Grèce antique… ?

Nous parlons tous arabe sans le savoir…

La finance vulgarisée

Litanie des vins et des fromages français

Dialogue absurde pour progresser dans une langue

Une soirée étudiante qui foira…

Les meilleures blagues de Laurent Jouet

Les phrases les plus bizarres de Duolingo

Les nouvelles blagues

The weirdest sentences in Duolingo

Parlez-vous angevin ?

Comment vous venger d’un commercial qui vous a trompé ?

Brève réflexion sur l’intelligence artificielle…

À la mémoire du Líder Máximo


Vous aussi, vous êtes fan du Bon Dieu ?

Vous aimerez :

Mon corps sous le regard de Dieu

Nahouaille-Aquart

Voyage en Aragon et en Catalogne

Que peuvent nous apporter les personnes en situation de handicap ?

Espérer l’inespéré

Je cherche la représentation du Christ

L’argot des cathos

Envie d’acheter des vêtements durables ?

Quel est le sens de Noël ?

Bx Noël Pinot : quel exemple pour nous aujourd’hui ?

Des arguments pour évangéliser

On récolte ce que l’on sème…

Don des langues : le point de vue d’un linguiste sur la Pentecôte

Le pouvoir de l’amour

Une rencontre incroyable sur le chemin de Compostelle

Qu’est-ce que la liberté ?

Terra Botanica

À la Une

« Unis par le Camino » : Jean O’Creisren publie son premier roman

Qu’y a-t-il de commun entre Albane, Jonaz, Maëlwenn, Hakam, Scratch et Girolamo ?

Apparemment, tout les différencie : une jeune femme au cœur d’or qui parle aussi bien anglais que russe, deux Bretons aussi têtus l’un que l’autre, un chirurgien algérien qui a tout abandonné pour commencer une licence de droit, un SDF alcoolique, ainsi qu’un traducteur italien à la fois fervent catholique et fan du groupe anarchiste Ska-P. 😉

Pourtant, ils vont cheminer ensemble vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils vont affronter les mêmes épreuves sur un pied d’égalité. Avec les autres pèlerins, ils formeront une communauté très hétérogène, mais solidaire. Tous marchent pour une raison singulière, qu’ils en aient conscience ou non. Trouveront-ils ce qu’ils recherchent en cours de route ? 🌻

Photo de Guduru Ajay bhargav sur Pexels.com

Vous aimez lire les articles de « Délires de linguiste » ? 🙂 Quatre ans après avoir lancé ce blog, je publie Unis par le Camino. Ce roman original se développe autour du Chemin de Compostelle. Différents personnages évoluent au cœur de cette Espagne que j’aime tant. Ce voyage initiatique leur permet de soulever de grandes questions dans des dialogues constructifs, de se connecter à leur for intérieur et de se recentrer sur leurs aspiration les plus profondes. Vous retrouverez dans cet ouvrage ma passion pour les langues, mon goût de l’aventure et une bonne dose d’humour. 😉

Entre autres retours sur ce roman, un lecteur m’a dit que l’intrigue est bien construite, avec autant de suspense que vous êtes en droit de l’attendre. 😎

Cette idée de lecture vous intéresse ? Vous pouvez commander mon livre sur le site de l’éditeur.

Vous pouvez également vous le procurer dans la librairie de votre choix ou sur une plate-forme en ligne. Voici les références bibliographiques à fournir à votre libraire :

O’CREISREN, Jean. Unis par le Camino : une quête de sens sur le chemin de Compostelle. Saint-Ouen : Les Éditions du Net, 2023.

Bonne lecture et ultreïa ! 😉

Jean O’Creisren

« Welcome to hell » de Ska-P (paroles en français)

Vous aussi, vous êtes fan de Ska-P ? Voici ma traduction en français des paroles de « Welcome to hell » (¡¡Que corra la voz!! – 2002)

Welcome to hell

Les heures sont éternelles dans ce couloir sale ;
Je pense en détail à mon exécution.
Le temps me presse, why ne puis-je pas l’arrêter ?
Eh brother, welcome to hell!

Attaché sur une chaise, ils vont m’électrocuter.
J’ai été condamné à la peine capitale.
J’allègue mon innocence, ils ne veulent pas la voir.
Eh brother, welcome to hell!

L’heure est arrivée, mon frère chicano
Ton heure est arrivée, Afro-américain

On condamne des déments ou des mineurs
Sur la chaise de la mort ou dans la chambre à gaz.
Combien d’innocents ai-je vu périr ?
Eh brother, welcome to hell!

Je vis dans un pays où tu peux tout acheter ;
Être vivant ou mort dépend de ton capital.
Mon futur est déjà écrit, je ne peux pas me défendre.
Eh brother, welcome to hell!

L’heure est arrivée, mon frère chicano
Ton heure est arrivée, Afro-américain

DES CRIMES D’ÉTAT CONTRE L’HUMANITÉ CONFORMES À LA LOI EN VIGUEUR.
LES DROITS DE L’HOMME EXISTENT ; ÇA LEUR EST ÉGAL.

WELCOME HELL, CETTE AFFAIRE EST CLOSE !
WELCOME HELL, IL FAUT L’ASSASSINER !
WELCOME HELL, CETTE AFFAIRE EST CLOSE !
WELCOME HELL, IL FAUT L’ÉLIMINER !

WELCOME
WELCOME DEATH

Combien d’êtres humains devrez-vous assassiner
Pour vous rendre compte que c’est une atrocité ?
« Œil pour œil », ça ne peut rien résoudre.
Eh brother, welcome to hell!

Au fil des ans, on a réussi à démontrer
Que je n’étais pas coupable. Why? On ne peut pas revenir en arrière.
Mon corps est pourri. Why? Je ne peux plus renaître.
Eh brother, welcome, welcome…

L’heure est arrivée, mon frère chicano
Ton heure est arrivée, Afro-américain

DES CRIMES D’ÉTAT CONTRE L’HUMANITÉ CONFORMES À LA LOI EN VIGUEUR.
LES DROITS DE L’HOMME EXISTENT ; ÇA LEUR EST ÉGAL.

WELCOME HELL, CETTE AFFAIRE EST CLOSE !
WELCOME HELL, IL FAUT L’ASSASSINER !
WELCOME HELL, CETTE AFFAIRE EST CLOSE !
WELCOME HELL, IL FAUT L’ÉLIMINER !

WELCOME
WELCOME DEATH

Source : https://www.letras.com/skap/421978/

Traduction de l’espagnol vers le français par Maya Ferré

Révision et relecture de la traduction de cette chanson de Ska-P contre la peine de mort par Jean O’Creisren


Vous aussi, vous êtes fan de Ska-P ?

Vous aimerez :

Pourquoi suis-je fan de Ska-P ?

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

¿Por qué soy fan de Ska-P?

« Alí el magrebí » (paroles en français)

« No lo volveré a hacer más » (paroles en français)

Voyage en Aragon et en Catalogne

« Niño Soldado » (paroles en français)

« The Lobby Man » (paroles en français)

« El Olvidado » (paroles en français)

« Patriotadas » (paroles en français)

« Consumo gusto » (paroles en français)

Comment vous venger d’un commercial qui vous a trompé ?

Il y a quelques mois, je me suis fait avoir par un commercial sans scrupules. Après être tombé dans le panneau, je me suis vengé d’une manière digne d’un traducteur de documents juridiques…

Photo de Pixabay sur Pexels.com

En effet, l’un de mes amis est un excellent commercial. Dans cet article, nous l’appellerons Aurélien Baratin. Il y a quelques mois, il a réussi à me faire avaler une énormité. Tout a commencé quand il m’a envoyé une photo de lui en robe d’avocat…

Jean O’Creisren : Oui. Tu es devenu avocat ? (NDLR : je n’étais absolument pas sérieux en posant cette première question)

Aurélien Baratin : Oui. Cela fait 8 ans que je travaille sur le concours du barreau dans l’ombre, et la récompense est enfin tombée.

Jean O’Creisren : Si c’était vrai, tu serais le seul mec que je connaisse qui soit devenu avocat sans suivre au préalable un cursus de droit. 😉

Aurélien Baratin : J’en ai suivi [sic]. Mon diplôme à l’École des Baratineurs m’a fait valider des UE de droit et j’ai complété avec une formation à distance. Très peu de personnes autour de moi le savaient. Tu n’as pas remarqué dans la bibliothèque de l’appart pas mal de manuels de droit ?

Jean O’Creisren : Peut-être. C’est donc vrai ? Si oui, félicitations ! Mais je te croirai à 100 % quand tu auras mis à jour ton profil LinkedIn… et je serai ravi de recommander ta compétence « droit ». 😊

Aurélien Baratin : Merci, mais je ne compte pas exercer tout de suite.

Jean O’Creisren : C’est vrai que tu dois d’abord suivre 18 mois de cours et de stage dans une école d’avocats… Où suivras-tu ta formation ? Au fait, pourrais-tu me montrer ton attestation de réussite au concours du barreau ?

Aurélien Baratin : J’ai tout fait à distance, Jean.

Jean O’Creisren : Montre-moi une preuve que tu es reçu !

Aurélien Baratin : Pour le stage, je me suis arrangé avec maître Rilleul-Esteyte, un ami avocat sur Angers spécialisé en droit immobilier. Mon diplôme à l’École des Baratineurs m’avait déjà fait valider plein de choses en droit immo et de la construction.

Jean O’Creisren : Ok. Je vois que cet avocat existe et que tu es bien en lien avec lui sur LinkedIn. Comme tu es du genre à essayer de me faire marcher et comme je n’étais absolument pas au courant que tu souhaitais devenir avocat, j’ai quand même du mal à te croire. Mais si c’est vrai, chapeau !

Aurélien Baratin : J’allais t’envoyer un message salé car j’ai eu l’impression que tu commençais à me sous-estimer et à penser que c’était impossible pour moi. Tu peux demander à maître Rilleul-Esteyte. Je vais faire une soirée l’an prochain et il y sera, bien entendu. Tu peux également en parler avec Yves Carré quand tu le verras puisqu’on a le projet de s’associer.


Là-dessus, j’ai fini par céder et j’ai félicité ledit Aurélien. J’ai vu Me Yves Carré à une soirée chez des amis communs et je suis passé pour une andouille devant tout le monde car lui n’était au courant de rien. Je me suis donc vengé en envoyant ce message au commercial malhonnête. Je me suis permis de revisiter et de complexifier une blague bien connue pour piéger les juristes :

« Salut Aurélien ! Comment vas-tu ? Je rentre d’une soirée où j’ai vu Yves Carré. Il m’a donné plus de détails sur votre cabinet d’avocats. Beau projet ! 😊 Je suis ravi de savoir que tu te spécialises dans les questions de fiducies immobilières.

D’ailleurs, il se trouve que j’ai un ami qui est concerné et je serais preneur de tes précieux conseils à ce sujet. Son père est constituant d’une fiducie familiale et il détient notamment cinq maisons dans un lotissement. Mon ami (dont je dois taire le nom pour des raisons de confidentialité) est fiduciaire et gère ce patrimoine pour l’ensemble de la fratrie. Ils sont donc 5 frères et sœurs voisins. Mon ami est le cadet, mais comme l’aînée est une fille, c’est lui que le notaire a nommé fidéicommissaire en vertu de la loi salique. Ledit ami est donc voisin de sa sœur aînée et il se trouve qu’un œuf de requin-marteau halicorne a été retrouvé sur le muret qui sépare les deux jardins. Comme tu peux le vérifier sur Internet, cet animal est menacé. Ainsi, un œuf de ce poisson est d’une extrême rareté et constitue un vrai trésor. Toutefois, l’inventeur dudit trésor n’est pas l’un quelconque des voisins, mais leur neveu de 9 ans. Comme ce dernier est mineur, le trésor en question revient-il aux responsables légaux de l’inventeurs susmentionné, au constituant de la fiducie, au fiduciaire ou à sa sœur voisine et aînée ? »

Notre baratineur préféré a répondu avec humour en me disant que, comme avocat, il facturerait ses précieux conseils à prix d’or. Certes, le commercial peu scrupuleux qu’il est s’y connaît mieux que moi en techniques de manipulation. Mais le linguiste rêveur que je suis le bat en rédaction juridique. Son retour évasif et évitant le prouve. 😉 Voici la réponse à mon énigme :

« Effectivement, un œuf de requin-marteau halicorne constitue un trésor d’une extrême rareté. En effet, ce poisson est vivipare et ne pond donc pas d’œufs. La rareté d’un tel trésor n’a d’égal que celle des dragons et des licornes. »

Bref, tout cela pour dire que mon ami est un excellent commercial. S’il n’eut été mon ami, je l’aurais envoyé promener au même titre que les vendeurs, colporteurs et autres arnaqueurs qui essaient de temps à autres de me voler mon pognon.

Jean O’Creisren


Vous aussi, vous aimez jouer avec les mots ?

Vous aimerez :

Perles de tentatives d’arnaques

Unis par le Camino : Jean O’Creisren publie son premier roman

L’argot des cathos

Blagues espagnoles et latino-américaines

Les jurons distingués

Nous parlons tous breton sans le savoir…

La carte familière

Faut-il enseigner les gros mots aux étrangers ?

Les textos littéraires

Comment disait-on, dans la Grèce antique… ?

Nous parlons tous arabe sans le savoir…

La finance vulgarisée

Litanie des vins et des fromages français

Dialogue absurde pour progresser dans une langue

Une soirée étudiante qui foira…

Les meilleures blagues de Laurent Jouet

Les phrases les plus bizarres de Duolingo

Les nouvelles blagues

The weirdest sentences in Duolingo

Parlez-vous angevin ?

À la mémoire du Líder Máximo

Voyage en Aragon et en Catalogne