Vous aimez les langues ? Vous aimez jouer avec les mots, rigoler, refaire le monde ? Délires de linguiste est fait pour vous ! Bienvenus sur le blog de Jean O'Creisren !
Avez-vous déjà parcouru le chemin de Compostelle ? Si oui, vous avez certainement plein d’anecdotes à raconter… Si non, qu’attendez-vous pour vous lancer dans cette aventure ?
Entre autres trouvailles, je vous partage quelques traductions étranges que j’ai photographiées chemin faisant…
« Bienvenidos » et non « Bienvenida »… Voilà ce qu’on appelle une traduction littérale complètement ratée !Quand je voyage en voiture, je fais des pauses toutes les deux heures sur des secteurs d’autoroute. Pas vous ?Bon, il ne s’agit pas d’une traduction, mais d’une pierre que j’ai trouvée sur le chemin. Je l’ai prise en photo car elle ressemble étrangement à la carte de la Péninsule ibérique. Vous ne trouvez pas ?On comprend, mais on voit bien que cette traduction n’est pas l’œuvre d’un locuteur natif…Traduction très orale…On commence la série des perles de la machine à laver de Burgos…Je n’ai jamais pensé à laver mes vêtements avec des coings… Et vous ?Bon, cela aurait pu être rédigé par un Français qui ne maîtrise pas correctement les accords du participe passé… c’est à dire sans doute la majorité de nos compatriotes.Bon, ce n’est pas une traduction, mais cette auto-dérision d’un Breton têtu m’a bien fait rire…« Chemin alternatif » aurait bien fait l’affaire ! Parfois, la traduction littérale est le meilleur choix…Les pictogrammes sont une autre forme de traduction… Vive la sémiotique !En voilà une manière de s’exprimer !Private joke pour les arabophones… Cette traduction est-elle vraiment inmejorable ?Une fois arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle, je suis tombé sur cette autre traduction vraiment pas terrible…
Et voilà pour la série des traductions bizarres ! Si ça veut vous donner envie de vous lancer dans l’aventure du chemin de Compostelle, n’hésitez pas à relever ce défi ouvert aux personnes de toutes convictions politiques et religieuses !
¡Buen Camino a tod@s!
Ultreïa !
Jean O’Creisren
Vous aussi, vous vous intéressez au chemin de Compostelle ?
Cet été, j’ai marché de Burgos à Saint-Jacques-de-Compostelle. Pendant trois semaines, j’ai cheminé tous les jours, depuis les plaines infernales de Castille jusqu’aux montagnes pluvieuses de Galice. En sortant de Carrión de los Condes (province de Palencia), j’ai rencontré une personne incroyable.
Ce jour-là correspondait à l’une des étapes les plus difficiles du Camino. En effet, entre Carrión et le village suivant, il n’y a rien, sauf des champs de céréales parsemés de rares arbres et le soleil qui cogne dur, pendant 17 kilomètres.
Parmi mes nombreux défauts, je suis entre autres dépendant à la caféine. Et comme j’étais sorti très tôt de Carrión, aucun bar n’était ouvert. Le seul petit-déjeuner que j’avais pu prendre était un sac de cacahuètes, que m’avait gentiment donné Jérôme, un autre pèlerin français.
Après avoir marché environ 8 kilomètres, nous nous sommes assis sur une aire de repos. J’étais épuisé et je savais pourquoi : j’étais en manque. J’ai alors dit à mon compagnon de route qu’il pouvait poursuivre son chemin s’il le souhaitait, car j’allais me coucher sur l’herbe pour dormir.
Sur cette aire, un Espagnol se promenait à vélo. Il nous a salués. J’en ai profité pour lui demander s’il y avait un bar à proximité. Il m’a répondu que non, mais m’a dit qu’il était hospitalier. Il m’a donc proposé de l’attendre, le temps qu’il fasse un aller-retour sur Carrión de los Condes afin de m’apporter du café. Fernando Santos Urbaneja travaille à Cordoue. Néanmoins, pendant l’été, il revient dans sa Castille natale pour veiller sur les pèlerins. Quand il était petit, le chemin de Compostelle n’était pas aussi bien balisé et les auberges étaient plus rares. Sa mère lui enseignait que le pèlerin est un être sacré. Sur le paysage tout plat de la Meseta, il voyait arriver de loin ces voyageurs et allait à leur rencontre pour les conduire vers le logis familial. Aujourd’hui, sa mère est très âgée et il a repris le flambeau.
Il est revenu me voir au bout d’une heure. Jérôme était déjà parti. Un pèlerin italien nommé Luca s’était arrêté et nous discutions ensemble. Fernando m’apporta du café, mais aussi beaucoup de biscuits et une clé USB. En effet, en parallèle de ses études de droit, il suivait des cours de chant et de guitare au conservatoire de Valladolid. L’appareil, que j’ai lu dès mon retour en France, regorge de trésors sur le chemin de Compostelle : des liens vers des vidéos de concerts, des partitions et autres trouvailles… Eh oui, mon bienfaiteur n’est pas seulement procureur, mais aussi troubadour ! Il compose, joue et chante de belles chansons sur le Camino et sur d’autres thématiques.
Pour moi, sa plus belle chanson est la Bénédiction des pèlerins. Écoutez-la ; ça vaut vraiment le coup ! Il s’agit d’un sujet religieux, mais tout le monde peut apprécier le son relaxant de la voix d’or du chanteur.
Outre son rôle de troubadour et son métier, Fernando est écrivain. Pour plus d’informations à ce sujet, vous pouvez regarder cette vidéo :
Enfin, je vous propose d’assister au spectacle suivant, où vous pourrez vous délecter de sons, de mots et d’images magnifiques sur le Chemin de Compostelle :
Este verano, caminé desde Burgos a Santiago de Compostela. Durante tres semanas, anduve todos los días, del infierno de la Meseta a la lluvia de las montañas gallegas.
Al salir de Carrión de los Condes (Palencia), encontré una persona estupenda. Aquel día hice una de las etapas más difíciles del Camino. En efecto, entre Carrión y el pueblo siguiente, no hay nada, excepto campos con escasos árboles y el sol que pega duro, durante 17 kilómetros.
Entre mis numerosos defectos, soy dependiente de la cafeína. Y como salí de Carrión temprano, ningún bar estaba abierto. Lo único que pude tomar como desayuno fue una bolsa de cacahuetes que me había dado Jérôme, otro peregrino y compatriota mío.
Caminamos unos 8 kilómetros y nos sentamos en un área de descanso. Me sentía harto y sabía que era por el mono. Le dije a mi compañero que no podía caminar más y que necesitaba echarme un rato en la hierba.
Por el área, un español estaba paseando con su bici. Nos saludó y yo le pregunté si había un bar cerca de allí. Me dijo que no, pero que él era hospitalero y que podía ir a Carrión para traerme café. Fernando Santos Urbaneja trabaja en Córdoba. No obstante, durante el verano, regresa a su Castilla natal para cuidar a los peregrinos, como hacía su madre cuando él era un niño.
Regresó al cabo de una hora. Jérôme ya se había ido. Luca, un peregrino italiano, se había parado y estaba hablando conmigo. Fernando me trajo café, pero también muchas galletas y una clave USB. En efecto, además de estudiar Derecho, también siguió lecciones de canto y de guitarra en el conservatorio. Así que hoy, además de su profesión, es trovador. Compone, toca y canta hermosas canciones sobre el Camino o sobre otros temas.
Para mí, su canción más preciosa es la Bendición del peregrino. Realmente, merece la pena escucharla. El tema es religioso, pero cada un@ puede apreciar el sonido calmante de la voz de oro del cantante:
Aujourd’hui, 1er juillet, nous célébrons la fête nationale du Canada. Je vous propose donc la traduction d’un extrait de The Backwoods Of Canada. Il s’agit d’une série de lettres qu’une voyageuse britannique a écrit à sa mère au XIXe siècle. Catharine Parr Traill rédige en anglais dans un style captivant. Dans cette traduction inédite en français, j’ai tâché de rendre toute la description poétique de la nature canadienne… Pour plus d’informations sur l’œuvre, veuillez consulter ce lien.
Traduction de Jean O’Creisren :
Brick Laurel, fleuve Saint-Laurent, le 6 août 1832
Ma chère mère, j’ai arrêté de vous écrire pour cette simple raison : je n’avais rien à dire. Chaque jour n’était en quelque sorte que l’écho de celui qui le précédait ; si bien qu’une page copiée sur le journal de bord du capitaine se serait avérée aussi amusante et tout à fait aussi instructive que mon journal si j’en avais tenu un pendant la dernière quinzaine.
Ce temps a été si vide d’événements que la vue d’un groupe d’hyperoodons, de deux ou trois phoques et d’un marsouin, peut-être en chemin pour un dîner ou un thé au Pôle Nord, a été considérée comme un fait d’une grande importance. Chaque longue-vue a été réquisitionnée dès qu’ils ont fait leur apparition et les monstres marins ont presque été dévisagés à en être décontenancés.
Les côtes de la Terre-Neuve étaient en vue le 5 août, exactement un mois après le jour où nous avons jeté notre dernier regard sur les îles Britanniques. Bien que la côte fût brune, déchiquetée et désolée, j’ai salué son apparition avec ravissement. Rien ne m’a jamais semblé aussi rafraîchissant et délicieux que la brise de la terre qui nous est parvenue, portant, pensai-je, la santé et la joie sur ses ailes (…).
Le 7 août—Ce matin, nous avons reçu la visite d’un joli petit oiseau, guère plus grand que notre roitelet huppé. Je l’ai salué comme un oiseau de bon augure, un petit messager envoyé pour nous souhaiter la bienvenue dans le Nouveau Monde. Et j’ai presque ressenti une joie enfantine à la vue de notre menu visiteur. Il y a dans nos vies des moments joyeux où nous tirons le plus grand plaisir des choses les plus insignifiantes, de même que les enfants sont contents avec le plus simple des jouets (…).
Je peux maintenant apercevoir avec précision le tracé de la berge sur la rive sud du fleuve. Parfois, les hautes terres sont soudainement enveloppées dans de denses nuages de brume en perpétuel mouvement, roulant dans des volutes sombres, tantôt teintes de lumière rosée, tantôt blanches et floconneuses, ou brillantes comme l’argent lorsqu’elles captent les rayons du soleil. Les changements qui se produisent dans le banc de brouillard sont si rapides que, la prochaine fois que je lèverai les yeux, je verrai peut-être la scène transfigurée, comme par magie. Le rideau de brume est lentement tiré, comme par des mains invisibles, et les montagnes sauvages et boisées sont partiellement révélées, avec leurs puissants rivages rocheux et leurs baies aux courbes majestueuses. À d’autres moments, la masse de vapeur se divise, se déplace le long des vallées et des profonds ravins, comme de hautes colonnes de fumée, ou reste suspendue comme des draperies neigeuses parmi les pins sombres de la forêt (…).
Le 8 août —Bien que je ne puisse que demeurer en état d’émerveillement et d’admiration devant la majesté et la puissance de ce fleuve imposant, je commence à me lasser de son immensité et je rêve d’une vue plus proche du rivage ; mais actuellement, nous ne voyons rien d’autre sur la rive sud que de longues rangées de collines revêtues de pins, avec ici et là une tache blanche, qu’on me présente comme des colonies et des villages ; en revanche, sur la rive nord du fleuve, d’immenses montagnes dépouillées de verdure limitent notre vue. Mon admiration pour les paysages montagneux fait davantage pencher mon intérêt vers ce côté-ci du cours d’eau, et je regarde avec un plaisir concluant la progression des cultures le long de ces régions accidentées et inhospitalières (…).
Tandis que j’écrivais ce qui précède, j’ai été surprise par un remue-ménage sur le pont. En montant pour m’enquérir de la cause de tout cela, j’ai été informée qu’un bateau amenant le pilote tant attendu avait appareillé du rivage ; mais après tout ce tapage et toute cette agitation, il s’est avéré qu’il s’agissait seulement d’un pêcheur français accompagné d’un pauvre gamin déguenillé, son assistant. Sans trop de difficulté, le capitaine a persuadé monsieur Paul Breton[1] de nous piloter jusqu’à Green Island, à une distance de quelques centaines de miles en remontant le fleuve, où il nous a assurés que nous devrions rencontrer un pilote confirmé, si cela ne se produit pas avant.
J’ai quelques petites difficultés à comprendre monsieur Paul, car il parle un dialecte particulier ; mais il semble assez accommodant et serviable. Il nous informe que le maïs est encore vert et que les épis sont à peine formés. Il nous dit également que les fruits estivaux ne sont pas encore mûrs, mais que nous trouverons à Québec des pommes et autres fruits en abondance.
D’après Catharine Parr Traill, The Backwoods Of Canada (1836)
Cet été, j’ai eu la chance de partir une dizaine de jours en Algérie. Dans cet article, je vais vous faire part de cette belle expérience. Au programme : photos, anecdotes, culture et humour…
Avant de partir :
préparation du voyage
L’Algérie est un pays que je rêvais de découvrir depuis quelques années. Ayant eu l’occasion de tisser des liens plus ou moins étroits avec plusieurs Algériens, soucieux d’améliorer mon niveau d’arabe, j’avais très envie de réaliser ce voyage. En février dernier, mon ami Ishaq m’a proposé de m’accueillir quelques jours dans sa ville natale, Jijel.
La préparation a été un peu compliquée. Je vais vous épargner les péripéties administratives que j’ai dû traverser pour obtenir mon visa. J’ai aussi dû me faire vacciner contre l’hépatite A et la fièvre typhoïde. En revanche, je n’ai pas pu me faire vacciner contre la rage. J’avais donc l’interdiction formelle de toucher des animaux.
Selon le site officiel du
ministère des Affaires étrangères, la région où j’allais me rendre était
fortement déconseillée pour les ressortissants français. En effet, il y aurait
encore des groupuscules terroristes pour qui nous serions des cibles
privilégiées. Ishaq s’est montré très étonné que je lui dise cela. Il m’a assuré
que ça craint beaucoup plus en France, entre les cités et la crise des gilets
jaunes qui sévissait à ce moment-là. Je me suis bien gardé d’en parler à ma
famille. Mais si je peux vous écrire maintenant, c’est que je suis revenu sain
et sauf. 😊
Début juillet, j’étais enfin sûr
de pouvoir partir. J’ai donc acheté mes billets d’avion. À l’aller, une escale
de 5h20 à Barcelone (entre 0h30 et 5h50 du matin). Au retour, 1h seulement pour
changer d’avion et de terminal à Madrid. Je me suis dit à l’avance que j’allais
bien rigoler ! 😉
7-8 août : un aller mouvementé…
Je me rends donc en train à
l’aéroport de Nantes. 8h à attendre. Heureusement, j’ai de quoi
m’occuper : ma méthode ASSIMIL d’arabe, quelques publications du CCFD-Terre Solidaire, ainsi que le
livre Azul…, de Rubén Darío. Si vous aimez la bonne littérature, vous
apprécierez sans aucun doute ce chef-d’œuvre du modernisme latino-américain. Je
ne sais pas ce que donne la traduction en français, mais la version originale
en espagnole est un bijou de prose et de poésie, d’un style très édifiant.
Bref, pour revenir à l’Algérie, j’ai la bonne idée de flâner dans le Relay de l’aéroport. J’y achète un mini-dictionnaire d’arabe du Maghreb. On m’a déjà dit que cette langue est assez éloignée de l’arabe littéraire, que j’étudie par intermittence depuis une quinzaine d’années. Mais je n’imaginais pas que c’était à ce point ! En Algérie, même les mots les plus basiques se disent autrement. Par exemple, pour dire merci, on ne dit pas shoukrane (شكراً) mais sahet (صحة), qui signifie « santé » en arabe littéraire. À croire que, quand on n’a pas le droit de boire d’alcool, les joies refoulées de l’apéritif resurgissent autrement. 😉
C’est sympa de bouquiner, mais au bout de huit heures, on s’embête un peu. Je m’assieds à côté d’une famille lusophone. Mon portugais est un peu rouillé, donc je ne comprends pas tout. J’arrive tout de même à avoir un bref échange avec un enfant qui vient me voir, sous le regard amusé des parents. Puis vient l’heure de m’enregistrer. Une fois passé le contrôle, j’attends à la porte d’où partira mon avion. J’essaie d’aborder les autres passagers français ou espagnol pour passer le temps, sans succès. Heureusement que j’ai Azul… sous la main ! J’espère au moins que je serai à côté d’une personne sympa dans l’avion…
Une fois à bord, je suis sur la
même rangée que deux sœurs espagnoles d’une quinzaine d’années. Ni elles ni moi
ne sommes à l’aise pour démarrer une grande conversation, mais je profite de
leurs joyeuses gamineries. Si tous les adolescents pouvaient être aussi bien
dans leur peau, le monde serait bien meilleur !
Une fois arrivé à Barcelone, je me pose dans un café pour prendre un chocolat chaud et écrire. L’aéroport est très beau et de nombreuses boutiques sont ouvertes toute la nuit. Vive le capitalisme ! Vers 3h30, je me dis qu’il est peut-être temps de penser à m’enregistrer. Panique à bord : je ne trouve aucune indication quant à mon vol vers Alger. J’aperçois trois femmes voilées attablées à une autre cafétéria. Je les salue en arabe, puis leur demande en français si elles prennent le même avion que moi. C’est bien le cas. Elles me proposent de m’asseoir avec elles et m’offrent un thé à la menthe. Je viens de passer la frontière culturelle : en Europe, les gens sont individualistes, branchés sur leurs écrans (moi le premier) et peu enclins à parler avec les inconnus. En Algérie, l’individualisme n’existe pas et vous pourrez vous en rendre compte tout au long de cet article…
Une fois dans l’avion, un problème technique nous empêche de décoller. On nous demande de sortir, nous passons les contrôles une nouvelle fois. Puis on nous installe dans un bus censé nous diriger vers notre nouvel aéronef. Richard, le mari anglais de l’une des femmes algériennes qui m’ont si gentiment accueilli, m’explique un peu comment ça se passe au bled. Nous parlons, entre autres, de l’arabe du Maghreb et il me raconte une anecdote à ce sujet. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu des Maghrébins converser dans leur langue maternelle. Au milieu d’une phrase en arabe, on entend quelques mots en français. D’après Richard, lorsque les Algériens vont en pèlerinage à La Mecque, les Arabes d’Orient se moquent d’eux. Ils leur disent : « vous ne devriez pas tourner sept fois autour de la Kaaba, mais de la Tour Eiffel ! »
Le car finit par nous redéposer au
terminal, où nous passons les contrôles pour la troisième fois. Autant vous
dire que mes compagnons de voyage sont de plus en plus énervés. Finalement,
nous nous envolons avec trois bonnes heures de retard. Je parle avec Youssef,
mon voisin, un architecte algérien qui vit au Canada. Dans l’avion, les
passagers discutent, partagent, blaguent même sur la situation. La culture
algérienne est ainsi, mais notre galère commune à l’aéroport nous a également
rapprochés…
Ça y est, nous quittons enfin Barcelone ! Nous allons survoler la Méditerranée : seulement du bleu sous nos pieds… Et nous arrivons à Alger ! One, two, three : viva l’Algérie !
Arrivé à l’aéroport d’Alger, je suis impressionné par le nombre de contrôles douaniers. Aux entrées, aux sorties. On me demande même d’indiquer où je logerai. Et cette partie de l’aéroport n’est pas aussi chaleureuse qu’à Barcelone : pas une boutique, seulement des uniformes bleus. J’arrive dans le grand hall : là, je vois des commerces, certes, mais pas d’Ishaq ! Je le cherche : introuvable. J’essaie de le joindre : mon portable n’a pas de réseau. J’emprunte le portable de quelqu’un : répondeur… Il est environ 10h, j’ai somnolé deux heures maximum dans l’avion et je suis seul dans un pays où je ne connais personne. Bon, déjà, j’ai faim. Je vais donc essayer de trouver à manger. Ce ne sont pas les cafétérias qui manquent à l’aéroport. Mais d’abord, il faut convertir mes euros en dinars. Des changeurs à la sauvette me proposent des opérations au noir. Je me dis qu’ils veulent m’arnaquer, donc je décline poliment, mais fermement. Ils m’indiquent néanmoins l’autre terminal, où se trouve le bureau de change. J’y vais à pied, je suis contrôlé à l’entrée. D’autres changeurs à la sauvette m’abordent. Je réussis enfin à effectuer l’opération auprès de la Banque d’Algérie et j’en profite pour demander si c’est normal que mon portable ne capte aucun réseau. Ils me conseillent à ce niveau. Après quelques péripéties, je réussis enfin à joindre Ishaq par WhatsApp. Il me cherche, inquiet, depuis deux heures. Nous nous retrouvons et il m’explique que j’aurais été largement gagnant en échangeant mes euros au marché noir. En effet, la Banque d’Algérie prend une très grande commission sur les opérations de change.
Nous prenons le taxi pour la gare
routière. Les choses qui me frappent sont :
le nombre de palmiers qui bordent les routes
le code de la route algérien, qui diffère en de nombreux points de celui de la France : pas de ceinture de sécurité à l’arrière des voitures, on peut doubler à droite, on peut conduire des deux-roues sans casque, la priorité n’est pas à droite mais à celui qui prend sa place le plus rapidement et le klaxon peut aussi être utilisé en pleine nuit. Mais la grande différence avec mon voyage au Cameroun il y a dix ans est le bon état des chaussées.
Ishaq me demande mes premières impressions sur l’Algérie. Je lui demande ce que j’ai le droit de dire. Il me dit de ne pas m’inquiéter. Ici, les gens sont directs et on peut parler de tout, même de politique et dire tout ce qu’on pense. Je lui annonce qu’on voit que c’est un État très policier. Je remarque que, même en Israël, ce n’était pas à ce point. En sortant du taxi, Ishaq me réprimande en disant qu’on peut parler de tout, certes, sauf d’une chose. Le seul tabou est l’État d’Israël. En Algérie, on peut dire qu’on est contre le gouvernement, qu’on est gay, qu’on est chrétien, qu’on est athée, mais pas qu’on est allé en Israël. Le chauffeur de taxi pourrait très bien informer la police qu’il a entendu un truc pas très clair…
Nous arrivons à la gare routière. Elle est noire de monde car c’est bientôt l’Aïd. Nous attendons quelques heures, puis nous nous embarquons pour Jijel, entre Alger et la Tunisie, dans la région de Petite Kabylie. 7h de trajet en car, rallongées par un problème technique au milieu de nulle part (apparemment un amortisseur qui a lâché). Pour passer le temps, je raconte des histoires belges à Ishaq, qui me fait découvrir l’humour algérien en retour. Contrairement à l’humour français, on ne se moque de personne, mais ça tourne souvent autour de la religion. Voici un exemple de blague :
Un homme va voir un imam pour lui demander de prononcer une fatwa. Il lui dit :
— Cheikh, je trouve ça fatiguant de marcher jusqu’à la mosquée toutes les semaines. Pourrais-tu prononcer une fatwa pour que je puisse regarder le prêche à la télé et prier devant l’écran tous les vendredis ?
Bien évidemment, l’imam refuse, mais l’homme insiste. Le religieux lui répond donc :
— As-tu un frigo, chez toi ?
— Oui.
— Eh bien, si tu tiens à prier devant ta télé, tu peux aussi mettre un drap noir sur ton frigo. Tu tourneras sept fois autour et tu pourras te vanter d’avoir fait le pèlerinage à La Mecque !
Nous arrivons à Jijel vers 2h du
matin. Mourad, le frère d’Ishaq, est venu nous chercher en voiture. Il nous
conduit vers la maison louée par mon hôte, où son ami Kamel nous attend. Enfin,
je vais pouvoir honorer un repos bien mérité…
Vendredi 9 août : journée
tranquille à Jijel
Après cet aller tumultueux, une
petite grasse matinée s’impose. Il fait très chaud. C’est une chaleur humide et
étouffante. Nous devons nous allonger torse nu sur nos matelas, sans draps.
Nous passons l’après-midi à la plage du Grand Phare. Le sable est brûlant et c’est une véritable torture que de marcher pieds nus. Heureusement, l’ombre du parasol permet d’échapper à ce brasier. Ishaq nous apporte des sandwich « frites omelette » (sic en arabe algérien, en roulant le R de « frites »). Comme son nom l’indique, ça se compose de pain, de frites et d’omelette. Ce n’est absolument pas diététique, mais je suis fan du goût. En effet, c’est exactement la même saveur que la tortilla de patatas, mon plat espagnol préféré. Logique : les deux plats se composent des mêmes ingrédients. Enfin, sauf si l’on ajoute des oignons dans la tortilla, mais ceci est un autre débat… 😉
Sur la plage, de nombreuses personnes sont venues passer la journée. Jijel est une ville balnéaire et une grande partie des Algériens y vient pour les vacances. Il y a aussi des binationaux, qui sont facilement repérables puisqu’ils parlent français sans accent. Jijel est l’une des villes les plus conservatrices du pays. Sur la plage, pas de femmes en bikini. Seulement des maillots une pièce, des burkinis, voire des personnes qui se baignent tout habillées. En revanche, pour les hommes, il n’y a aucun problème pour porter le short de bain.
Les eaux sont parfaites : d’une limpidité que les Arabes nomment « safir », c’est-à-dire entre bleu marine et turquoise. Elle est bien chaude et il n’y a aucun problème pour entrer dedans. Le sable se compose de grains plats, qui collent à la peau de manière coriace. Sans doute les falaises de la région sont-elles constituées d’une roche particulière… Si l’un des lecteurs de cet article est géologue, je serais ravi d’avoir une explication en commentaire. 😊
Comme pour la sécurité routière, les règles de la baignade sont différentes en Algérie. Pas de bouées. Les bateaux à moteur circulent librement parmi les baigneurs. De mon côté, ça me plaît bien car ça fait des vagues…
Quand je ne me baigne pas, je lis Azul… ou les Écrits spirituels de l’émir Abd El-Kader. Pour rappel, ce dernier était un chef de guerre qui a résisté à l’invasion française au XIXe siècle. Après avoir rendu les armes, il a passé le reste de sa vie dans la prière. Il appartenait à un courant de l’islam nommé « soufisme ». Cette branche du sunnisme est alimentée par la philosophie et la mystique. Les soufis sont généralement de grands ascètes qui entrent facilement en dialogue avec les croyants d’autres religions. Tolérants, ils considèrent qu’il y a une part de vérité dans la foi de chacun et qu’il n’est pas nécessaire d’être musulman pour être proche de Dieu.
Après la baignade, nous partons vers le Grand Phare. Cela nous permet d’escalader les rochers et de contempler quelques belles vues de la côte. Voici quelques photos :
Samedi 10 août : des
conversations édifiantes
Ce matin, Kamel et son petit frère Mahfoud sont repartis pour Alger. Ishaq et moi sommes donc seuls à la maison. Nous retournons à la plage pour cette nouvelle journée tranquille. J’y rencontre Tareq, un ami de mon hôte qui enseigne la géotechnique à l’université. Tiens, il aurait pu m’expliquer de quelle roche provient le sable de Jijel tout collant !
Nos conversations sont assez édifiantes. Nous parlons notamment de religion. Avec Ishaq, j’ai déjà eu l’occasion de discuter sur le livre d’Abd El-Kader à la maison. Il m’a appris plein de choses sur l’histoire de son beau pays. Sur la plage, j’explique la différence entre les catholiques, les protestants et les orthodoxes. J’aborde des sujets assez techniques, comme la hiérarchie dans l’Église et les démarches des procès de béatification et de canonisation. Eh oui, il faut bien que je justifie pourquoi les catholiques se basent à la fois sur la révélation (la Bible), la tradition (les écrits des pères de l’Église et la vie des différents saints) et le magistère (ce que disent ou écrivent le pape et les conciles). Ishaq et Tareq se montrent intéressés. Même si je suis dans une ville musulmane très conservatrice, je peux affirmer ma foi chrétienne sans aucune crainte. Mes hôtes sont respectueux et font preuve de curiosité. Mais bien évidemment, je dis ce en quoi je crois de manière humble, sans le présenter comme La vérité. Il est aussi recommandé d’éviter les sujets qui fâchent : l’Incarnation et la Trinité. En effet, dans l’islam, Dieu est Un, donc il ne peut pas être Trois Personnes. Jésus n’est considéré ni comme Dieu ni comme le Fils de Dieu, mais uniquement comme un prophète qui n’aurait jamais prétendu être davantage qu’un homme.
Le soir, nous allons déguster une glace chez le meilleur glacier de Jijel. Et c’est vrai que c’est un régal ! Je rencontre Mohammed, le cousin d’Ishaq, ainsi que certains de ses amis. Nous avons des conversations très intéressantes sur l’histoire de l’Algérie, du monde arabe, de la France, de l’Espagne et de l’Empire ottoman. Nous pouvons parler de certains sujets sensibles sans langue de bois. Si la France dispose d’un réseau diplomatique si étendu, c’est parce que nous évitons d’aborder certains sujets suivant les contextes. Peut-être sommes-nous un peu hypocrites. Mais cela nous permet de vivre plus ou moins en bonne intelligence dans une société où les convictions politiques et religieuses sont très variées. Le seul endroit où nous sommes vraiment francs, ce sont les réseaux sociaux. En Algérie, les gens sont généralement très directs. Cela est sans doute moins un problème dans la mesure où tout le monde a plus ou moins les mêmes convictions. Eh oui, l’individualisme, c’est aussi le fait que chacun pense à sa façon. Or la culture algérienne n’est pas individualiste. Avec ces personnes chez ce glacier, j’ai pu avoir certaines conversations qu’il m’aurait été impensable de tenir en France. Mais je ne vous dirai pas sur quoi… 😉
Dimanche 11 août : Aïd
moubarak !
Aujourd’hui, les musulmans du monde entier célèbrent l’Aïd el-Kébir, la fête la plus importante du calendrier islamique. Ils se rappellent le sacrifice d’Abraham (« Ibrahim », en arabe). À cette occasion, chaque famille sacrifie un agneau mâle. Depuis quelques jours déjà, on voit dans les rues des enfants qui jouent avec un jeune bélier. En France, ce serait impensable ! Soit les enfants auraient peur soit les parents auraient peur… Les règles du jeu sont les suivantes : certes, l’animal est voué à être égorgé, mais d’une manière relativement respectueuse. Pendant quelques jours, le mouton est choyé. Les familles le promènent dans la rue, le nourrissent bien. J’ai même vu une photo où un homme se baigne en tenant l’animal dans ses bras. La comparaison vous paraîtra peut-être un peu osée, mais cette image m’a tout de suite fait penser aux parents qui accompagnent à la piscine un jeune enfant qui ne sait pas nager. De fait, les ovins ainsi traités n’ont pas du tout l’air malheureux. Ils sont paisibles, sans aucun signe de stress. L’arme fatale est cachée à leur vue. Le jour J, le mouton doit être égorgé rapidement afin qu’il souffre le moins possible. Bien évidemment, pour que la viande soit halal (حلال / « licite »), il faut dire le mot magique ! Non, ce n’est pas « merci », mais « bismi-llah » (بسم الله / « au nom de Dieu »). C’est aussi la formule qu’on utilise avant de commencer à manger.
À l’occasion de ce jour
important, je suis invité chez les parents d’Ishaq. Je suis accueilli comme un
roi. Sa mère a préparé le repas et je suis donc à table avec mon ami, son petit
frère Yassin et leur père. Eh oui, dans le monde arabo-musulman, ce sont
généralement les femmes qui cuisinent. Lors des repas, les deux sexes sont
séparés. Ça vous dérange ? Ça vous semble machiste ? Attention, point
de jugement hâtif ! À la fin du repas, tous les hommes débarrassent puis
font la vaisselle. Enfin, sauf moi. L’hospitalité est un devoir sacré dans le
monde arabe. Les invités sont mis à l’honneur et on ira parfois jusqu’à se
priver en cachette pour les accueillir de manière convenable. Après le repas,
je prends le café en compagnie d’Ishaq et de sa maman. Nous avons tous les
trois une belle discussion sur la religion, devant la télé qui diffuse des
programmes spéciaux pour l’Aïd.
En Algérie, la vie n’est pas mixte. Peut-être l’avez-vous remarqué : chaque fois que je sors avec Ishaq, nous retrouvons ses amis hommes. Souvent, c’est l’homme qui travaille et la femme qui gère la maison. Et elle est honorée dans son foyer. Et encore, les femmes travaillent de plus en plus, donc les hommes participent de plus en plus aux tâches ménagères. D’après les Algériens avec qui j’ai pu en discuter, il y a peu de violences envers les femmes dans le pays. C’est sans doute dans le monde hispanophone que ce fléau frappe le plus. Et je connais assez bien ce monde-là pour vous assurer que beaucoup de femmes y sont habillées de façon très légère. Bref, tout l’inverse des codes vestimentaires algériens !
Pendant l’après-midi, je reste me
reposer à la maison. Ishaq honore un devoir impératif. Il doit aller visiter
les différents membres de sa famille (oncles et tantes) pour leur souhaiter une
« Aïd moubarak » (عيد مبارك
/« fête bénie »).
Le soir, nous sommes invités chez
la famille de Mohammed. Comme à midi, nous mangeons du mouton. La conversation
au dessert est très intéressante. Mes hôtes font l’effort de la tenir en
français, afin que je puisse suivre.
Nous rentrons assez tard et
devons bien nous reposer car une grosse journée nous attend demain…
Lundi 12 août : un voyage
d’enfer avec des photos qui envoient du steak…
Aujourd’hui, je pars avec Ishaq et son ami Naaman visiter la Corniche de Jijel. Il s’agit de la côte entre Jijel et Béjaïa. Naaman est commercial. Nous nous embarquons donc dans son camion et entreposons nos affaires entre les articles qu’il vend : du produit vaisselle et des couches.
Nous nous arrêtons sur la
Corniche pour prendre quelques beaux clichés. J’apprends à mes hôtes
l’expression familière « ça envoie du steak ! »
Après une petite baignade et la
pause déjeuner, nous arrivons à l’embouchure d’un oued. En fait, savez-vous ce
qu’est un oued ? En arabe, il existe deux mots pour dire « cours
d’eau ». Nahar (نهر) correspond à une
rivière ou à un fleuve en paysage de plaine. Ainsi, la Loire, la Seine et la
Maine sont des nahar. En revanche, wâd ou oued (واد) désigne un cours d’eau dans un paysage de montagne. C’est
notamment le cas du fleuve andalou Guadalquivir, dont le nom vient de l’arabe wâd
al-kabîr (واد الكبير), ce qui signifie
« le grand oued ».
Chouette ! Un beau dromadaire sur la plage ! 😊 Beau cliché, mais grande frustration : n’étant pas vacciné contre la rage, il m’est vivement déconseillé de caresser l’animal… Derrière le camélidé : une tente du désert, l’embouchure de l’oued et une zone très touristique car des grottes sont creusées dans la falaise. Malheureusement, elles sont fermées ce jour-là…
Nous enlevons nos sandales et
nous remontons l’oued. L’eau est froide et peu profonde. Elle vient des
montagnes kabyles qui surplombent la côte. Comme c’est l’été, le débit est
faible et nous avons au maximum de l’eau jusqu’aux genoux. Attention de ne pas
glisser sur les galets !
Eh oui ! Nous apercevons des singes. Ils sont mignons, mais très sauvages, donc difficiles à approcher. De toute façon, je n’ai pas le droit de les caresser, pour la même raison que le chameau. Je veux vivre dans une baraque comme ça ! 😊
Après avoir fait trempette, nous
remontons dans le camion de Naaman puis nous circulons dans les montagnes pour
rejoindre l’amont de l’oued. Nous allons visiter les magnifiques chutes de
Kefrida…
Eh non, ce n’est pas une carte postale, mais une photo que j’ai prise avec mon vieux smartphone âgé de 3 ans. Ne me demandez pas le nom de cette montagne : je n’en sais rien. On se croirait en Savoie pendant l’été… Et voici une belle image des chutes ! En bas, nous piquons une tête dans cette piscine naturelle d’eau douce. Après quelques jours de plage, ça fait bizarre de boire la tasse et de se rendre compte que la flotte n’est pas salée… Petit cliché pour vous montrer qu’en Algérie, certaines femmes sont voilées et d’autres non. Avez-vous déjà pensé à prendre un verre les pieds dans l’eau ? Comme le souligne Gad Elmaleh, les Algériens sont très fiers de leur drapeau et l’affichent partout. Quelques cabanes bucoliques en aval des chutes
Sans oublier la belle décoration
vivante pour que les touristes prennent des photos :
De gauche à droite : drapeaux chaoui, algérien et kabyle. Pour rappel, les Chaouis et les Kabyles sont deux ethnies berbères.
Le soir, nous retrouvons les amis qu’Ishaq a gardés de ses années à l’université. Son cousin Mohammed se joint à nous. Alors que nous parlons, je vois arriver un homme d’un certain âge, vêtu d’une djellaba blanche et portant une longue barbe de la même couleur. Mohammed me dit qu’il s’agit d’un ascète soufi connu à Jijel. Il me propose d’aller discuter avec lui. Je ne me fais pas prier…
Jamel vit de façon austère, bien qu’il gagne correctement sa vie en réparant des filets. C’est un choix. Je lui dis : « il paraît que vous êtes un soufi. » Il me répond : « on essaie de l’être ! » Je lui annonce que je suis chrétien et il commence à prêcher comme le ferait un prêtre catholique. Bien qu’il soit fermement convaincu de sa foi musulmane, il me dit qu’un athée ou un polythéiste peut très bien être plus proche d’Allah qu’un pratiquant de l’islam. Il me dit que la théorie (en l’occurrence la connaissance de la foi) doit toujours aller avec la pratique (vie de prière et application des préceptes moraux). Il fait ensuite référence aux philosophes. Hegel est un idéaliste qui fait abstraction de la matière. Son disciple Marx, quant à lui, est un matérialiste qui oublie l’idée. En islam, le souci du plus pauvre est à la fois dans ce qu’en dit le Coran (idée) et dans la zakat (somme versée en aumône, donc notion purement matérielle). La vie de Jamel est un bel exemple de ce mariage théorie/pratique ou idée/matière. En effet, il lit énormément tout en vivant d’un métier manuel.
Mardi 13 août : journée
tranquille au creux de la vague
Aujourd’hui, Tareq, Ishaq et moi nous posons à la plage. Le vent souffle fort et les vagues sont puissantes. J’apprends que « vague » se dit en arabe moudja (موجة). Le pavillon rouge ne nous empêche pas de nous baigner. Je ne sais pas pour vous, mais ce que je préfère, à la plage, c’est quand les eaux bougent. Nous devons tout de même rester prudents car les courants peuvent nous entraîner. Nous ne nous éloignons donc pas du bord.
Pour le déjeuner, Tareq nous
offre un excellent couscous préparé par son épouse. Nous tournons une vidéo
pour la remercier.
Le soir, nous sommes invités pour
un barbecue chez la sœur d’Ishaq. Les brochettes de mouton sont excellentes. À
la table des hommes, la conversation est entièrement en arabe. En effet, seuls
Ishaq et moi savons parler français. J’arrive tout de même à comprendre plus ou
moins de quoi il est question. Je m’appuie sur mes notions d’arabe littéraire
et surtout sur les mots de français qui surgissent çà et là…
Mercredi 14 août : les
vagues, c’est bien, mais attention quand même !
Après une petite grasse matinée, nous allons déjeuner chez les parents d’Ishaq. La télévision est allumée, ce qui me permet de travailler mon arabe. Aux informations, on nous annonce que deux personnes sont mortes sur la plage où nous avons joué dans les vagues hier. À l’écran, nous voyons les secours qui emmènent un cadavre à la morgue et un père qui pleure son enfant. Dur. Nos pensées vont à cette famille éprouvée par ce deuil. Ishaq m’annonce que, dans les provinces plus au sud, les habitants ne savent pas nager. Donc quand ils viennent en vacances à Jijel, ils sont plus vulnérables que les locaux lors des baignades.
Après le repas, mon hôte me montre le clip de l’équipe d’Algérie pour la Coupe d’Afrique des Nations. Pour rappel, mon cher pays d’accueil a gagné le championnat cet été. Voici la vidéo :
Nous passons l’après-midi sur la
plage en compagnie de Lamine et de Mohammed, deux amis d’Ishaq. Le pavillon
rouge bat toujours et nous nous baignons tout en restant prudents.
Le soir, Ishaq et moi nous promenons en ville. Nous prenons quelques photos devant le monument fétiche de Jijel. Il représente le bateau corsaire turc dirigé par le célèbre Barberousse. Celui-ci a sauvé la région de l’invasion espagnole au début du XVIe siècle. L’occupation ottomane a été très bien vécue par les populations locales. Les Turcs envoyaient quelques fonctionnaires sur le terrain. Mais ces derniers s’appuyaient sur les chefs locaux arabes et berbères, sans remettre en question l’organisation sociale de la région. Les Ottomans sont restés jusqu’à l’arrivée des Français, dans la première moitié du XIXe siècle.
Jeudi 15 août : musée, cartes
postales et barbecue
La matinée de cette Assomption en terre d’islam s’avère culturelle. Nous visitons d’abord le port de pêche de Jijel. Ishaq y a travaillé lorsqu’il était étudiant. Il était serveur dans un bar où l’ambiance était au rendez-vous.
Après avoir un peu déambulé dans la ville, nous visitons le musée Kotama, sur l’histoire de la région. Ishaq m’a déjà parlé du tremblement de terre qui a détruit Jijel juste avant l’arrivée de Français. Ces derniers ont reconstruit la ville à l’époque coloniale et les rescapés du séisme sont redescendus des montagnes pour repeupler la cité. La salle où mon hôte me donne le plus d’explications est celle sur la guerre d’Algérie. Voici quelques clichés des autres expositions :
Une amphore phénicienne
Ces bracelets traditionnels me font un peu penser à l’orfèvrerie celtique Quelques instruments du folklore local Gros plan sur un instrument à vent assez proche de la cornemuse
Quelques tableaux sans légende… À vous d’interpréter ! 😉
Dans l’après-midi, nous
retournons nous baigner dans les vagues. Sur la plage, je rédige une bonne dizaine
de cartes postales pour différentes personnes. Aujourd’hui, nous sommes avec
Naaman et son fils de cinq ans. Celui-ci m’explique tout un tas de trucs en
arabe. Je comprends juste « moudja kabira » (موجة
كبيرة), c’est-à-dire « grosse vague ». Je saisis donc que
le petit bonhomme s’est éclaté pendant la baignade avec son papa. Une fois ma
séance de secrétariat terminée, je me jette à l’eau. J’enseigne le français à
Naaman et celui-ci m’apprend l’arabe. Notre discussion est parfois interrompue
par une vague qui nous prend par surprise. Original, comme méthode pédagogique…
Le soir, nous nous retrouvons avec les amis de fac d’Ishaq : Lamine, Mohammed, Amine, un autre Amine, Ahmed, Houssam, Bachir et un autre Mohammed (j’espère que je n’ai oublié personne). Nous préparons un barbecue sur la plage : brochettes d’agneau, frites, ratatouille, chawarmas, puis raisin muscaté en dessert. Les conversations sont intéressantes. Nous parlons encore une fois de religions et de l’histoire de l’Algérie. Mes compagnons me racontent les horreurs de la décennie noire, quand ils étaient enfants. Les massacres perpétrés notamment par les terroristes islamistes sont encore brûlants dans les mémoires.
Nous rentrons vers 3h du matin. Houssam vient dormir avec nous. Nous regardons un film. Finalement, les deux Algériens s’endorment. Je ne suis pas très fatigué (je suis plutôt du soir) donc je regarde jusqu’à la fin. Tout-à-coup, j’entends le muezzine qui psalmodie : « Allahou akbar ! » C’est l’heure de la fajr, la première prière de la journée. Le soleil ne va donc pas tarder à se lever. Je regarde mon portable : 4h50. J’attends que le film se finisse, je me douche puis je me couche. Ma longue Assomption musulmane s’achève enfin.
Vendredi 16 août : une journée on ne peut
plus pépère
Sans surprise, je passe une bonne partie de la journée à dormir. Ishaq s’absente à midi pour aller prier à la mosquée. Pour le dîner, je suis invité chez les parents de mon ami. Ils m’offrent un petit souvenir de Jijel, qui trône désormais dans mon salon :
Nous prenons ensuite une glace
avec Mohammed (le cousin d’Ishaq, pas son ami de fac). Puis nous passons à la
maison pour récupérer nos affaires. Nous regardons un film d’horreur en anglais
à la télé pour passer le temps. Vers minuit, le père d’Ishaq nous conduit vers
la gare routière, où nous voyagerons de nuit. Nous essayons de dormir tant bien
que mal, malgré l’inconfort et un homme un peu timbré qui parle tout seul bien
que tout le monde lui manifeste son mécontentement. J’arrive quand même à
somnoler un peu et je crois bien que je réussis à rêver en arabe. Bon, étant
donné mon niveau, ça reste de l’arabe très basique…
Samedi 17 et dimanche 18 août :
Alger, l’avion, Madrid
Ishaq dort encore quand je peux
observer un magnifique lever de soleil. Malheureusement, les photos sont floues
à cause du mouvement du car.
Nous passons quelques heures dans
la capitale. Voici quelques clichés :
La faculté de traduction
La statue de l’émir Abd El-Kader
Une illustre librairie juste en face de la statue de l’émir Une mosquée algéroise Une vue qui illustre bien l’architecture d’Alger-centre La Grande Poste Le mémorial du Martyr, en hommage aux combattants morts pour l’indépendance de l’Algérie
Ça y est : c’est l’heure de
retourner en Gaule. Ishaq et moi nous quittons à l’aéroport, sachant que nous
pourrons nous revoir en France d’ici quelques semaines.
Bon, on ne voit pas grand-chose, mais nous survolons certainement les îles Baléares
Le voyage de retour est aussi
chargé d’imprévus que l’aller. Néanmoins, il est bien plus plaisant. J’ai une
correspondance à Madrid avec juste une heure pour changer de terminal et d’avion.
Comme on m’a indiqué une porte erronée, je loupe mon second vol et mes bagages partent
sans moi. Je partage cette galère avec Marc, un Vannetais qui a loupé la même
correspondance que moi. Il a un très bon sens de l’orientation (que je n’ai
pas) et je parle espagnol (ce qui n’est pas son cas). À deux, nous arrivons à
nous débrouiller. Comme c’est la faute de la compagnie aérienne, c’est elle qui
nous paye la nourriture et l’hôtel pendant 24h, le temps d’avoir un autre vol
vers Nantes. La classe !
Nous sommes samedi soir. Je
trouve une église à proximité de l’hôtel. Je peux assister à la messe
dominicale anticipée. Dans son sermon, le prêtre dit que le véritable chrétien doit
supporter les épreuves et l’inconfort. De manière métaphorique, il parle de
« voyager sans bagages ». J’ai un petit sourire en coin, car ce n’est
pas si métaphorique en ce qui me concerne…
Le lendemain, je prends enfin l’avion. Je suis assis à côté d’une doctorante allemande qui revient du Maroc. Nous discutons en espagnol, chacun avec son accent. Lorsque nous survolons la Bretagne, elle me fait remarquer que c’est beaucoup plus vert que l’Espagne et le Maghreb. Lorsque nous sortons de l’appareil, nous sommes saisis par un temps beaucoup plus frais que ce que nous avons connu ces dernières semaines. Après quelques péripéties, je récupère enfin mes bagages et je peux rentrer à la maison.
Vous l’avez compris : ce voyage m’a énormément plu. Merci aux personnes courageuses qui ont lu cet article jusqu’au bout ! 😉 J’espère que ça vous a donné envie d’aller en Algérie. Ce pays est peu touristique et les gens y sont d’autant plus accueillants. Donc n’ayez pas peur de traverser la Méditerranée pour visiter une terre qui en vaut vraiment la peine !
Jean O’Creisren
Vous aussi, vous êtes passionné(e) du monde arabe ?