Visite de la maison-musée de Lope de Vega

Lors de mon voyage culturel en Espagne (été 2024), j’ai visité la maison-musée du dramaturge Lope de Vega. Elle se situe rue Cervantès, car l’auteur de Don Quichotte a également vécu dans ce quartier de Madrid. Voici une photo de la façade de ce lieu emblématique :

Qui était Félix Lope de Vega Carpio ? Cette vidéo en espagnol résume bien sa vie, pleine d’histoires d’amour et de rebondissement :

Quelle fut la vie de Lope de Vega ?

Dans le vestibule d’entrée, vous pouvez lire une plaque à la mémoire de l’écrivain :

Lope de Vega a connu la gloire dès sa jeunesse. En effet, écrire des pièces de théâtre était très lucratif. Le dramaturge était célèbre et riche. Tout Madrid l’admira jusqu’à sa mort. Par certains écrits qu’il a laissés (correspondance et inventaires figurant dans ses différents testaments), nous avons une idée assez précise de la constitution de la maison à l’époque, ainsi que des objets qui s’y trouvaient. Après le petit-fils de Lope, nous perdons la trace de la descendance du Phœnix. Le lieu est habité par différentes familles successives aux cours des siècles, jusqu’à être racheté par la Real Academia Española. Cette institution à l’autorité incontestable dans le domaine des lettres, de la culture et du patrimoine a aménagé un musée dans cette bâtisse imposante pour l’époque. Bien que l’immense majorité des objets exposés n’aient pas appartenu à Lope de Vega, ils reconstituent au mieux ce que nous savons de l’état original de la maison.

Dans la cour intérieure de la maison-musée, un agréable jardin offre un peu de fraîcheur en ce jour caniculaire, notamment à l’ombre d’un figuier. Il s’agit, là aussi, d’une reconstitution du huerto où l’écrivain aimait passer son temps libre. Le choix des plantes restitue fidèlement la manière dont Lope décrivait la botanique originale du lieu, depuis les plantes potagères jusqu’à l’oranger :

Avec ses 23 mètres de profondeur, ce puits déjà présent à l’époque était la seule source d’eau de la maison. Au XVIIe siècle, nos ancêtres se lavaient beaucoup moins que nous. Ils utilisaient juste une cruche pour se nettoyer les parties visibles du corps : tête, visage, cou et mains. Je vous laisse imaginer l’odeur…

La première pièce est un oratoire privé. Comme le succès du dramaturge lui apportait une vie très confortable, la maison était immense pour l’époque. Tout le monde n’avait pas les moyens de disposer d’une chapelle à domicile. Vers la fin de sa vie, Lope de Vega s’est fait ordonner prêtre, en réparation de ses nombreux péchés de luxure. Ses repentirs l’amenèrent aussi à de dures pénitences, comme l’auto-flagellation. Néanmoins, malgré sa décision de consacrer sa vie à Dieu, sa vie amoureuse ne cessa pas pour autant et, vers la fin de son existence terrestre, il eut une amante de trente ans de moins que lui. Ce qui choqua les Madrilènes ne fut pas qu’il eût une relation malgré le sacerdoce, mais que le couple vécût sous le même toit en dehors du sacrement du mariage. Voici quelques photos de l’oratoire où l’abbé Lope de Vega célébrait la messe régulièrement : une statue de saint Isidore le Laboureur (patron de Madrid), auquel l’écrivain vouait une dévotion particulière, des vêtements sacerdotaux semblables à ceux qu’il portait pendant les offices, ainsi que quelques objets religieux lui ayant très probablement appartenu.

La suite de la visite nous a menés vers la salle à manger. À cette époque, disposer d’un comedor était un luxe. La plupart des gens mangeaient dans leur chambre ou sur une planche que la famille montait sur des tréteaux aux heures de repas (d’où l’expression poner / quitar la mesa). Lope de Vega mangeait de la viande tous les jours, ce que ne pouvaient se permettre que ceux qui vivaient dans l’opulence. Par ailleurs, la nature morte décorant la salle montre du jambon de porc. Une telle décoration était pour Lope de Vega et pour les autres cristianos viejos une manière de se vanter de leur « pureté du sang », par rapport aux Espagnols d’ascendance morisque ou juive. Ces derniers s’abstenaient parfois de cette source de protéines considérée comme impure dans la religion de leurs ancêtres, qu’ils ne pouvaient pratiquer qu’en cachette pour échapper à l’Inquisition.

Jouxtant cette pièce, la chambre des filles de Lope a été reconstituée avec du mobilier typique de l’époque, notamment un lit à baldaquin où l’on dormait légèrement assis, pour mieux digérer après ces repas gargantuesques :

La pièce suivante recèle une importance majeure. Il s’agit du bureau où Lope de Vega a écrit beaucoup de ses très nombreuses pièces (plus de 1500, d’après l’auteur lui-même). Il y a donc passé une grande partie de sa vie. Dans un coin salon, il recevait ses amis écrivains, notamment Quevedo. En revanche, il était à couteaux tirés avec Góngora et Cervantès. Ce dernier a connu la gloire bien plus tard dans sa vie et jalousait le succès précoce du dramaturge. L’auteur de Don Quichotte s’était aussi essayé à l’écriture des pièces de théâtre, mais sans grand succès. Lope et Quevedo prenaient d’ailleurs un malin plaisir à se rendre ensemble aux représentations des pièces écrites par le fameux romancier, dans le seul but de lancer des légumes sur les acteurs et d’entraîner l’ensemble du public dans leur chahut. Bien que beaucoup plus riche que Cervantès, Lope de Vega était, lui aussi, jaloux de son illustre rival, car il aurait aimé percer autant que lui dans l’art du roman. De fait, malgré le nombre impressionnant de pièces qu’il a écrites, le Phœnix n’a pas laissé d’œuvre concrète ayant marqué l’histoire de la littérature, à l’instar du Qujiote. Voici donc une reconstitution de l’étude du dramaturge. Tous les livres exposés sont d’époque et lui ont appartenu. Ce n’est là qu’un maigre échantillon d’une bibliothèque qui comportait plus d’un millier d’ouvrages :

Dans cette même salle figurent des portraits de Lope de Vega et de sa fille Marcela, entrée au convent à l’âge de quinze ans. Cette dernière écrivit également, mais la quasi-totalité de son œuvre a disparu. En effet, son père spirituel lui a demandé de détruire ses écrits, car une femme écrivaine était peu habituelle et mal vue par toute la société à cette époque. Or, en plus des vœux de pauvreté et de chasteté, la vie monastique implique le vœu d’obéissance. Un peu plus tôt dans l’histoire de la littérature espagnole, Thérèse d’Avila fut confrontée au même problème. Sur l’ordre d’un prêtre auquel elle devait obéir, elle jeta au feu un journal dans lequel elle avait écrit ce qu’elle aurait reçu lors de visions. Heureusement, une autre sœur, très intéressée par sa prose, l’avait intégralement recopiée. Grâce à elle, nous avons accès à l’œuvre de l’illustre mystique carmélite.

Voici deux photos de la chambre du Phœnix, notamment la fenêtre donnant sur la chapelle. Ainsi, il pouvait assister à une messe dite par un confrère lorsqu’une fièvre le clouait au lit :

Cet autre cliché témoigne de l’ambiance de l’époque où Lope de Vega écrivit des pièces de théâtre, notamment de cape et d’épée :

Voici une maquette de la maison-musée, ainsi que quelques explications sur l’exposition La botica de Lope :

Pour approfondir à ce sujet, voici deux vidéos expliquant ce qu’il faut retenir de l’œuvre de Lope de Vega et de ce qu’en disent les analystes littéraires :

Quelles sont les caractéristiques de l’œuvre de Lope de Vega ?
Comment analyser et classifier les différentes pièces de Lope de Vega ?

Enfin, Carlos Herrera nous lit quelques extraits choisis de l’œuvre de Lope de Vega :

Si vous souhaitez en savoir plus sur le dramaturge, n’hésitez pas à lire cet article.

Pour conclure, la maison-musée de Lope de Vega témoigne de l’écrivain, de sa vie, de son succès et de son époque. Et vous, êtes-vous familier·e de l’œuvre du Fénix de los ingenios ? Que souhaitez-vous partager à ce sujet ?

Jean O’Creisren


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