« Demain, c’est la fin du monde. L’université de Cergy-Pontoise est le seul lieu épargné sur Terre ». Tel fut le sujet1 d’un concours de nouvelles auquel j’ai participé lorsque j’étais étudiant, dans les années 2010. Même si mes écrits n’ont pas été publiés, je suis assez fier de ce que j’ai produit. Je vous partage donc le fruit de mon travail littéraire d’alors. 😊

Mercredi 12 mars 2025, 8h00. Le radioréveil se met en route. Kévin sort de sa torpeur avec un mal de crâne épouvantable. Il a encore trop bu la veille au soir et se lever lui demande un effort surhumain. Aux informations, que des mauvaises nouvelles : un tsunami au Bengladesh, des millions de morts. Un tremblement de terre a détruit Los Angeles. Les peuples d’Afrique s’entretuent à cause du manque de réserves en eau et en nourriture. Les migrants climatiques sont de plus en plus nombreux à mourir aux portes de l’Europe. La météo n’est pas mieux : on prévoit des cyclones, des typhons et autres tornades un peu partout dans le monde. Des vents violents sont attendus sur toute la France.
9h. Kévin sort de sa résidence. Il n’a pas eu le temps de se laver ni de prendre son petit déjeuner. Il est déjà en retard en cours. De toute façon, à quoi servent ses études ? On sait bien que le monde va mal et que l’avenir ne promet plus rien. Le chemin est jonché de déchets et de caddies du centre commercial « Les 3 Fontaines ». En arrivant au site des Chênes, il est heureux de se trouver sur un lieu propre. En dix ans, les étudiants ont progressé dans la gestion des déchets et les arbres plantés sur le site sont parfumés de fleurs printanières.
10h. L’enseignant déballe son cours avec une monotonie déprimante. Les étudiants ne l’écoutent pas. Tous sont rivés sur leurs ordinateurs ou leurs smartphones. Les Philippines sont ravagées par un violent typhon, et les images en direct coupent le souffle. Dans le sud de la France, des pluies diluviennes submergent des villes entières. Des cyclones secouent l’Amérique centrale. Aux quatre coins du monde, les belligérants s’entretuent. Soudainement, on entend un grand bruit. La foudre vient de tomber sur le centre commercial, qui est en feu. Les étudiants se lèvent, se collent contre la vitre pour contempler le spectacle macabre. Puis tout à coup, on voit apparaître une tornade, qui balaye de quartier le Cergy-Préfecture. Tout le monde est interloqué.
11h. La pression est à son comble. Cyndie pleure, et son ami Mamadou la rassure : « Ne t’inquiète pas. Ici, nous sommes en sécurité. Il y a un microclimat au-dessus de l’université. Il ne nous arrivera rien, et je te protégerai quoi qu’il se passe. » Les étudiants parlent entre eux pour se soutenir, appellent leurs proches, pestent contre l’ascenseur qui est encore en panne. De nombreuses personnes venues d’ailleurs ont trouvé refuge sur le site des Chênes et chacun les accueille à bras ouverts.
12h. La queue est impressionnante au restaurant universitaire et à la cafétéria, si bien que les vivres viennent à manquer. Quentin s’empare du marteau de l’issue de secours, puis brise la vitre du distributeur de barres chocolatées pour en donner aux nécessiteux. Paul demande à Mohammed :
— T’as un truc à bouffer ?
— Non, et je ne mangerai pas tant que le soleil ne sera pas couché.
— Ah oui, c’est vrai ; c’est le Ramadan. Remarque, je pourrais jeûner, moi aussi, car c’est le Carême.
13h. Affamés, de nombreux étudiants sont sur les nerfs. Heureusement, on entend des psalmodies mélodieuses. En effet, Linda, une jeune femme handicapée mentale d’origine indienne, chante des airs sans paroles, ce qui détend l’atmosphère. Dehors, tous les étudiants de confession musulmane sont tournés vers la Mecque. C’est l’heure de la prière du Dohr. Tout à coup, une femme rom apparaît, poussant un caddie. Tous bondissent de joie en voyant qu’il regorge de nourriture ramassée dans les débris des 3 Fontaines.
14h. Un jeune homme en costume descend de la passerelle.
— Qui es-tu ? lui demande Paul.
— Je m’appelle François-Xavier. Je suis le seul qui ai réussi à sortir de l’ESSEC avant que tout ne s’écroule.
— Bienvenu, F.-X. ! As-tu déjeuné ?
— Non, mais comme je n’ai rien apporté, je ne pomperai pas dans vos réserves. Que puis-je faire pour vous aider ?
— Rien, je pense que, comme le font nos frères les musulmans, il ne reste plus qu’à prier…
15h. Une sono a été branchée, et de nombreux étudiants dansent dans le hall des Chênes 1. Ils ont besoin de se défouler et d’évacuer. Mohammed discute avec Jamila, dont la présence lui est rassurante. Sous le voile élégant de la jeune femme, un sourire radieux illumine son beau visage.
16h. Paul et François-Xavier ont rassemblé les étudiants qui le souhaitent dans l’amphithéâtre Larousse. Tous chantent des prières pour leurs proches, pour le monde, et pour le salut des âmes. Dehors, les musulmans se rassemblent à nouveau pour la prière de l’Asr.
17h. Les vents se déchaînent sur l’Hexagone et sur le monde. La tour Eiffel, le Colisée, la grande pyramide, la Maison-Blanche, la Muraille de Chine, le Machu Picchu se sont écroulés. Cyclones, tremblements de terre, éruptions volcaniques, raz-de-marée et autres tempêtes s’abattent sur la Terre. Le fléau frappe partout, sauf à l’université de Cergy-Pontoise.
18h. Internet ne fonctionne plus, et tous les réseaux de communication sont brouillés. Personne ne peut plus communiquer avec l’extérieur.
19h. Les uns dansent, les autres prient. D’autres encore parlent, font du sport, jouent aux cartes ou chantent. Ils ont compris que s’inquiéter ne sert à rien.
19h45. Le hall de la tour est plein à craquer. Des étudiants jouent au baby-foot :
— Tu crois que c’est la fin du monde ? demande Kévin.
— J’en sais rien, répond Quentin, et je n’ai pas envie d’y penser. Le baby me permet d’oublier.
— Okay, alors prends ça dans ta gueule !
Kévin envoie très fort la balle, qui fait une gamelle dans le but de Quentin, et rebondit si violemment qu’elle vient casser une vitre. BOUM ! À l’instant même, on entend un coup de tonnerre plus sonore que tous ceux qui l’ont précédé. Une lumière éblouissante envahit le site des Chênes. Tout le monde en est terrorisé, crie, court dans tous les sens. Puis un grand calme se fait.
20h. Les uns et les autres ouvrent les yeux, sortent des cachettes où ils se sont blottis. Mamadou et Cyndie, enlacés, s’encouragent l’un l’autre, puis avancent en se tenant la main. Paul, Jamila, Mohammed et François-Xavier sortent d’un pas assuré vers l’esplanade. Quentin regarde par la fenêtre que la balle a brisée :
— Ben ça alors !
— Qué… Qué-qu’est qu’il y a ? bégaie Kévin, qui se cache sous le baby-foot.
— Viens voir !
— Non… J’ai trop peur…
— Je t’assure, viens voir ! Ça vaut vraiment le détour !
Kévin se lève, puis regarde par ce qu’il reste de la fenêtre ; il est ahuri par le spectacle. En effet, devant lui se dresse une soucoupe volante, d’un blanc immaculé. Elle s’ouvre, et en sort un homme de taille moyenne, en scaphandre blanc. Tout le monde s’inquiète de voir cet extraterrestre qui pose pied à terre, mais il enlève son casque, et un beau visage de type proche-oriental apparaît. L’homme dit avec un grand sourire :
« Salam alaykum tout le monde ! Ça roule ? Je me présente, je m’appelle Paroo. Je suis venu de l’espace pour vous annoncer que tout va bien. La Terre a été un peu secouée aujourd’hui, mais c’est fini. Il faut dire que les Terriens l’ont tellement maltraitée qu’elle n’en pouvait plus, et elle a fini par craquer. Mais maintenant, le climat est redevenu stable, et les humains ont compris la leçon. Ils arrêteront de faire la guerre et construiront leur avenir dans le respect de leurs semblables et de la nature. Si l’université de Cergy-Pontoise a été épargnée, c’est parce que vous vivez déjà au quotidien l’écologie et le vivre-ensemble. »
13 mars 2020. 8h. Kévin se sent bien après une bonne nuit de sommeil. Ce beau rêve lui a fait du bien. À la radio, que des bonnes nouvelles : là où la guerre dévastait, les belligérants se sont rassemblés pour reconstruire, là où la désertification menaçait, les hommes mettent en place une agriculture raisonnée, là où la nature était bafouée, les hommes la traitent avec douceur et respect. La météo est favorable et l’humanité se relève. Kévin sort de son lit, fait deux séries de pompes et se prépare pour une nouvelle journée. Son esprit bouillonne de projets pour l’avenir et il est heureux de retourner à l’université pour poursuivre ses études, qui font maintenant sens pour lui.
- Le sujet exact du concours littéraire était certainement formulé d’une autre manière, mais je n’en retrouve plus la trace sur internet. ↩︎
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